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Archives Mensuelles: octobre 2012

La vraie vie est ailleurs, de Jean Forton

Jean Forton (1930-1982). Il n’a pas combattu les armes à la main, il n’a pas écrit dans Je suis partout, il n’a pas étranglé sa femme. Ce bordelais tranquille, profession libraire, publie huit romans chez Gallimard, ne connaît pas la gloire. Il laisse un roman, celui-ci, qui n’est pas un fond de tiroir. Empressons-nous d’ajouter que le cercle de ses lecteurs est en augmentation. Ses sujets de prédilection : l’enfance, les jeunes filles, la volonté d’échapper à la réalité des jours qui se suivent et se ressemblent. Comment construire sa vie. Juredieu, 17 ans, le téméraire, se lie d’amitié avec Lajus, 15 ans, garçon perclus de scrupules. Loin de leurs famille, bon enfant, mais rasoir, ils décident de se lancer. Première étape, aborder les filles dans la rue, espérer des heures exaltantes. Les rebuffades d’icelles, qui allient stupidité et fraîcheur, ne les découragent pas. Le grand amour doit forcement croiser leurs chemins. En attendant, saisir les bonheur furtifs, c’est ainsi que l’on ‘affirme. Deuxième étape, se donner des vertiges à répétition par l’alcool. Juredieu entraîne son jeune ami vers plus d’audace. Dans les salles obscures, jouer à colin-maillard. C’est inconfortable mais amoureusement consommé. Forton obtient à l’aide de situations banales, coulées dans mots simples, à nous émouvoir. Il file ses personnages, se révèle cruel, nostalgique, si proche de Juredieu et Lajus qu’on dirait deux lui-même. Ce roman ne manque ni d’allant, ni de moments poignant, ni de tragédies. Les deux adolescents volontaires se prolongent tant qu’ils peuvent jusqu’aux heurts inévitables. La simplicité de la langue de Forton a quelque chose d’ensorcelant.

Alfred Eibel

 

Le Dilettante, 316 p., 20 €.

 
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Publié par le octobre 27, 2012 dans Uncategorized

 

Tartuffe au bordel, d’Alain Paucard

Voici un livre à mettre entre toutes les mains. L’auteur est un habitué du crochet de la droite envers ceux qui s’égarent, ne produisent pas de solutions ; au contraire, s’enferrent, envenimant le débat. Combien de fois n’a-t-on pas tenté à travers les siècles d’éradiquer la prostitution. Aujourd’hui on s’en prend aux clients. A l’aide de réflexions, d’exemples multiples, s’appuyant sur des expériences personnelles, Paucard montre et démontre l’absurdité de telles initiatives. Félidés et panthères vrombissent dans les alcôves. C’est donc en des termes choisis que Paucard parle avec fringance d’un Pierre Louÿs poussant ses démonstrations jusqu’à la maxime. C’est épatant, aurait dit Jean Dutourd. Ce livre se recommande à celles et à ceux arc-boutés sur des certitudes d’un autre âge. Ce qui appartient à l’émotion, à l’envie, aux sensations, à l’appétence, ne peut que dérouter les vertueux contrôleurs. Un commissaire divisionnaire nous avait confié, à propos de sombres affaires liées au sexe, cependant dissemblables, que leur dénominateur commun pouvait se résumer par ces deux mots : le cul, le fric. Paucard souligne avec raison : « Nous sommes face à la vertu, à la nouvelle, à la fausse vertu. C’est le visage que prend le vice aujourd’hui ». Quant aux prostituées, elles appartiennent à des catégories distinctes. Il y a celles qui ont choisi le métier, celles du bitume contrôlées par le proxo du coin, celles qu’on appelle au téléphone, celles d’Internet. Elles ne se ressemblent pas. Il y a celles, peu nombreuses, d’aspect très convenable, qui à l’occasion d’un lèche vitrine, attirées par un foulard de marque, n’ayant pas la monnaie nécessaire, n’hésitent pas à sauter le pas d’une passe ou deux. Paucard énonce avec tact ce qui n’existe plus, les maisons closes, les bobinards, les bordels, les lanternes rouges, les lupanars. A coup sûr, son livre n’apprendra rien à ceux qui ont fréquenté madame Fabienne Jamet du One two two.

Alfred Eibel

Editions Le Dilettante, 128 p., 13 €.

Parution le 7 novembre 2012

 
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Publié par le octobre 23, 2012 dans Uncategorized

 

Le cri du canard, d’Alexandre Vialatte

Quand on parle d’Alexandre le Grand on parle bien entendu d’Alexandre Vialatte. Traducteur de Kafka, également de Nietzsche, Benn, Brecht, romancier, nouvelliste, auvergnat, chroniqueur à La Montagne et Spectacles du Monde, nécessité faisant loi, à Marie Claire, cette soixantaine de pages de crèmes fouettée, expression due à Jean Dutourd pour marquer le génie de Vialatte, sont un régal. Laissées à l’état d’esquisse on y retrouve la nostalgie de Vialatte pour l’enfance. Etienne Berger, sept ans, Estelle, la belle Amélie et mademoiselle l’institutrice Lantelme. On se rappelle Badonce et les créatures. Le cœur, l’intelligence Badonce et les créatures. Le cœur, l’intelligence, voilà ce que nous propose l’auteur. Etienne est fasciné par la réclame, les affiches, elles le font rêver. Et si la réclame c’était la vie ; ou, au contraire, si la vie n’était qu’une succession de réclames. Maître dans l’art des rapprochements incongrus, poétiques de surcroît, Vialatte entre en « désinvolture attentive » selon l’expression du préfacier François Feer. Le quotidien se déboîte, se colorise, le rocambolesque jaillit par surprise, les journées dérivent, dévient, en une succession de mirages qui donnent parfois l’impression qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux la littérature ; qu’il faut la laisser réfléchir. Pour Vialatte « l’âme s’incline comme une fleur dans l’arrosoir ». Parlant d’une femme peintre : « elle tyrannisait la couleur comme elle despotisait les âmes ». A bien penser ce récit où un canard bleu sous verre exprime la mémoire, ces pages sont ses enfantines à lui, à Alexandre.

Alfred Eibel

Le Dilettante, 61 p., 10 €.

 
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Publié par le octobre 18, 2012 dans Uncategorized

 

Lever de rideau sur Edward Hopper, de Karin Müller

Cette biographie à la première personne installe les moments forts, de découragement, de faiblesse, de courage, d’obstination, de simplicité, de la vie d’Edward Hopper (1882-1967). La voix du peintre paraît familière, ses propos d’une grande modestie. Issu d’un milieu bourgeois il dessine dès l’âge de sept ans. A partir de là s’ouvre une carrière. « Je regarde, je scrute, j’examine ». Plusieurs séjours à Paris. Les Impressionnistes lui en imposent. Ses peintres favoris, Degas, Sisley, Renoir, Pissaro. De retour aux Etats-Unis, il affronte des débuts difficiles. Bien vite les amateurs seront sensibles à sa manière particulière et le seront de plus en plus. Les personnages de Hopper expriment la solitude, le stoïcisme, la mélancolie. Ils sont perdus dans des rêveries lointaines. On les sent menacés par le quotidien, par la précarité des rares instants de bonheur. Son art du cadrage inspirent des cinéastes tels que Robert Siodmak, Alfred Hitchcock. Hopper est un contemplatif, un introverti, un homme hanté par le vide et le silence. L’intensité de la lumière, le bon usage qu’il en fera, exprime la réalité intérieure de ses sujets. Sa peinture est muette ; comme un prolongement du cinéma du même nom. Il n’est pas interdit d’imaginer que les intertitres sont à la discrétion des admirateurs du peintre. Fascinés, ils n’arrivent pas à détacher leur regard jusqu’à l’instant suprême où leur vient à l’esprit les mots indispensables pour souligner une scène.

Alfred Eibel

Editions Guena-Barley, 104 p., 9 €.

Contact : Claudine Lemaire ; 06 73 16 64 74 ; claudine.lemaire@cloorganisation.fr

 
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Publié par le octobre 15, 2012 dans Uncategorized

 

LA RÉPARATION, de Colombe Schneck

Que pourrions-nous offrir de mieux à nos morts? Nos propres souvenirs, notre amour posthume? Mieux encore, peut-être : une vigilance renouvelée, jointe au désir  obstiné de savoir le pourquoi et le comment des « jours de leur mort ». Lorsqu’il s’agit d’une très jeune victime de la barbarie nazie, l’exercice est doublement nécessaire, et le cheminement mémoriel semé d’embûches et d’incertitudes. Car que savons-nous, objectivement, de celle à qui tout avenir fut précocement ravi. À celle qui demeurera à jamais un être en devenir, quelle juste « réparation »  offrir, quelque soixante-dix ans après les faits?

Colombe Schneck creuse depuis quelques années un sillon qui se révèle plus riche à chacun de ses livres. L’émotion, distillée avec une pudeur extrême s’attache  ici, douloureusement, à des plaies familiales que la mémoire serait heureuse de ne pas raviver. Les tentations, pour une femme de son âge, ne manquent pas qui l’inciteraient à se détourner de telles épreuves, mais on ne choisit pas ses souvenirs, et encore moins ceux qui surgissent au cœur de la nuit.

C’est une incitation maternelle, captée sur l’instant d’une oreille distraite, qui déclenchera le long processus aboutissant à ce beau livre. En donnant à sa nouvelle-née le prénom de la cousine de sa mère, gazée en 1943 à Auschwitz, Colombe Schneck liera leurs destinées, s’imposant du même coup l’obligation morale de tout dire d’une vie brisée dont elle ne sait encore rien.

Pendant des années, elle avait compulsé chaque semaine des albums de famille qui attendaient d’être mis en paroles ; les vraies questions ne venaient pas – pudeur, vieilles habitudes de silence héritées de très longue date -, et lorsqu’elles venaient, les réponses étaient si évasives que mieux valait attendre la prochaine fois, puis la prochaine…

Le passé va se reconstituer comme un patchwork : une photo miraculeusement retrouvée, des messages, des confidences faites dans d’improbables rencontres transcontinentales. Colombe ne peut compter sur les révélations d’une mère (Hélène), « cadenassée » dans le monde d’antan, ni sur les témoignages de Ginda, la grand-mère lituanienne, qui a refermé à bon escient les grilles de ce monde fantôme pour vivre pleinement au présente. Comment le lui reprocher : 31 membres de cette famille avaient disparu pendant la guerre, 95% de sa communauté, qui jusqu’en en 1936 se croyait intégrée, avaient été exterminés.

Pour tracer la si brève histoire de Salomé, il fallait un don pour la détection, un sens du tragique et du romanesque, une réceptivité et une patience singulières, une aptitude à nouer le présent de l’enquête et le passé rapproché, le temps lointain du ghetto et l’instant de la mort imminente. « Val de Grâce » et « L’Increvable Monsieur Schneck » manifestaient déjà l’essentiel de ces qualités, mais l’auteur va encore plus loin, nous plongeant d’entrée de jeu dans l’horreur nue, puis échafaudant et orchestrant la partition des témoignages personnels, l’articulant à celle de l’Histoire jusqu’à faire surgir, strate après strate l’image vivante, les visages de chair et de sang de ses parentes Macha et Raya, de sa mère, de son oncle Pierre. Tous ces êtres gravitent autour de Salomé, dont  le fantôme finit lui aussi par s’incarner autant qu’il le pourra jamais. Nous découvrons alors une enfant angélique, miraculeusement douée pour la vie, et qui jusqu’au bout usa de ses ressources pour rendre aux siens tout l’amour dont elle était porteuse. Ses derniers instants, évoqués avec une admirable discrétion, sont un des deux « pics » émotionnels du récit. On nous permettra de ne pas évoquer le second, encore plus bouleversant, qui dévoile, derrière l’enfant, la figure énigmatique, majestueuse, fascinant, de celle qui décida souverainement de son sort, tranchant entre les innocents qui connaitraient une mort immédiate et ceux qui se devaient de survivre…

Olivier Eyquem

Grasset, 2012

 
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Publié par le octobre 13, 2012 dans Uncategorized

 

Othon et les sirènes, de Pierre Girard

S’il n’est pas larbaldien ne serait-il pas giralducien ? Peu importe, Pierre Girard (1892-1956) est d’abord inclassable. Raffinement de l’écriture, délicatesse, justesse de ton. Ce banquier genevois abandonne le goût de l’argent pour celui de l’indicible. Badaud, il entre dans une pension de famille, fait la connaissance de la patronne, entourée d’étranges créatures sorties d’un album de famille, à quoi s’ajoute un pensionnaire imbu de contradictions. Champollion déchiffrait les hiéroglyphes, Pierre Girard déchiffre l’inanimé qu’il place sur un plan égal à celui des grandes personnes. Les souvenirs se télescopent, les détails se rassemblent, les objets font des clins d’œil, on ne sait plus à quel saint se vouer, on est irradié par une prose qui emprisonne odeurs, couleurs, saveurs, peurs, les nuances du ciel, les mystères embusqués. A regarder de près, notre quotidien est saturé de féeries. C’est à cause de nos idées terre à terre, de nos doutes, de nos aveuglements que nous passons à côté « de ces femmes aux yeux phosphorescents la nuit ». Ecoutons les plus secrets conseils prodigués lors de rencontres éphémères. Soyons sensibles à la pudeur des jeunes filles, à leur grâce, à leur charme fou. Pierre Girard est un intuitif, un fantaisiste, un imaginatif, qui transmet ses plus faibles frémissements sans philosopher. « J’ai envie de vous écrire, parce que je n’ai rien de précis à vous dire » écrivait-il à une correspondante espérant la réjouir par l’étincelle de vie qui allume chacun de ses livres.

 

Alfred Eibel

 

Editions de l’Arbre Vengeur, 78 p., 9 €.

 

 
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Publié par le octobre 10, 2012 dans Uncategorized

 

Une distance folle, d’Eric Alter

Dès l’instant où Claire décide de quitter Damien, l’excellent décorateur perd pied. Jusqu’ici ses affaires étaient au beau fixe. La disparition de Claire le fait trébucher. Eric Alter décrit la vie d’un homme d’affaires. Vulnérable, dès lors qu’un grain de sable bloque sa vie réglée. Une vie consacrée aux ventes n’est-elle pas en soi insatisfaisante pour ne pas dire assommante ? En ce sens que les jours se répètent au bureau, un leitmotiv alourdi par la charade : pourquoi Claire est-elle partie ? Jour après jour Damien tente d’apporter une réponse, repense à sa vie passée, se laisse aller, noie sa névrose dans l’alcool, s’interroge sur le sens à donner à ses actes les plus habituels. Comme ces vieux films dans lesquels apparaît en surimpression le visage d’une femme, le visage de Claire ne cesse d’être présent à l’esprit de Damien. Il cherche un dérivatif. Des soirées entre copains et copine, entre amis proches. Il veut s’amuser parce qu’il s’ennuie ; il s’ennuie en s’amusant. Les jours passent, se ressemblent, l’angoisse persiste. Les étapes se relaient dans un quotidien peu mobilisateur. La vie qu’on croit la vraie vie n’est qu’un mirage. Claire est-elle à « la recherche de son moi perdu ? ». Damien sait-il réellement ce qu’il veut ? Les personnages sont campés avec aisance et rigueur. La morale la voici : « la vie est un torrent d’éternelles disgrâces ». C’est de Corneille.

Alfred Eibel

Pascal Galodé éditeur, 126 p., 15 €.

 
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Publié par le octobre 10, 2012 dans Uncategorized