Raymond Carver envoya son premier recueil de nouvelles Beginners (en français Parlez-moi d’amour) à un éditeur qui pratiqua des coupes drastiques ce que l’auteur considéra comme une amputation. Cela étant, le recueil fut un triomphe à sa sortie en Amérique en 1981 et serait à l’origine de la sécheresse d’écriture très éloignée de ce que Carver avait conçu pour être édité. Et c’est ainsi, dit-on, que Carver appliqua pour ses recueils ultérieurs son style minimaliste. Vrai, faux, ou excessif, son cas pose la question : de combien d’écrivains réputés peut-on affirmer que leurs livres n’ont pas été révisés ? Néanmoins l’originalité d’une œuvre « réparée » n’en demeure pas moins unique. Carver se détache nettement de ces écrivains américains portés aux nues, autour desquels se groupent un quarteron d’inconditionnels. Dans son Panorama de la littérature contemporaine aux Etats-Unis, John Brawn réserve un chapitre aux « gens du métier » qui savent bâtir une histoire. Rompu à la plomberie littéraire, capables de camper des personnages vrais, ils n’ont pas la prétention de porter leurs lecteurs à des hauteurs irrespirables. Ces romans sont souvent supérieurs à certains romans «expérimentaux » aux prétentions intellectuelles, écrit John Brown. L’essentiel est de ne pas se laisser abuser par la prétendue ambition d’une œuvre. N’écartons pas d’un revers de main les édificateurs habiles. À chacun son rang. Il importe de ne pas se tromper de palier. C’est bien là que réside le problème de la « littérature ».
Alfred Eibel