Catherine Colomb (1892-1965). Jean Paulhan la considérait comme une romancière de génie. Le lecteur habitué à des intrigues bien ficelées risque de se retrouver face à un roman qui n’en porte que le nom. Dans cette famille vaudoise installée à la campagne, pas de conversations suivies, des réminiscences, des interférences subtiles, des aspirations individuelles. Avant tout, occuper le silence. Égrener des pensées de peu de conséquences, lancer des regards furtifs, hâtifs, suivis d’élans brefs. Et brusquement, voilà le père de famille pris d’envie de bousculer tout dans la maison, tout changer, tout bazarder devant sa femme, pris d’un ébranlement moral qui paralyse quelques instants les quatre membres de la famille. Il règne dans la maison une anxiété inépuisable, peut-être aussi le sentiment d’un respect mal placé, de la nécessité de chercher au fond de soi la représentation de quelque chose que personne n’a encore osé dire, une forme de langage non encore exprimé.
M’aime-t-il ? Est-ce que je l’aime encore ? Et pourquoi les saisons passent-elles si vite, on y fait à peine attention. La famille, aux membres si figés, est saisie d’enfantillages, à la recherche d’un langage inspiré qui semble s’évanouir à l’instant où il est exprimé. Il faut ajouter que l’insignifiance des jours prend une dimension peu commune. Et le lecteur tourne les pages, commence à visualiser les péripéties qui se piétinent les unes les autres, parce qu’on s’ausculte mutuellement. Semblable à un vieux film en noir et blanc, une phrase surprend : « après trente ans, tous les humains ne sont que des rois en exil ».
Alfred Eibel
In Tout Catherine Colomb, 1672p, Éditions Zoé, 35€.