En 1930, Cole Porter composait la chanson « Love for sale ». Après l’amour à vendre, nous découvrons Bébés à vendre ! Quelle réalité se cache derrière le titre de l’essai de Eliette Abécassis ? Trafic d’enfants, prostitution de mineurs ? Non, la Gestation Pour Autrui. Sujet sensible, tabou à une époque où la question de la Procréation Médicalement Assistée pour toutes les femmes cristallise l’opinion et échauffe certains esprits. L’agrégée de philosophie livre un réquisitoire contre la GPA, démonte l’argumentaire de ses défenseurs. Elle ne mâche pas ses mots : la GPA est « un commerce », « la marchandisation des bébés », l’ « exploitation d’êtres humains ». Le constat est sévère, les formules percutantes, voire hyperboliques, certaines analogies avec l’esclavage, le colonialisme, la prostitution ou encore l’industrie procréative animale pourront faire polémique. Partant du postulat que « Désormais, au XXIème siècle, tout est marché », l’auteur définit la GPA comme une nouvelle forme de capitalisme. Âmes sensibles s’abstenir ! Ô couples, ô femmes en désir d’enfants, contrarié par l’injustice de la nature, cet ouvrage pourrait raviver votre souffrance ! La GPA y est présentée comme une « instrumentalisation du corps de la femme », une violence faite aux femmes. L’essai réfute l’idée que la GPA est un progrès, une solution aux problèmes d’infertilité mais qu’elle ouvre la porte à l’eugénisme et au transhumanisme. Tout usage des sciences et des techniques dans le but d’améliorer la condition humaine est-il un progrès pour l’humanité ? Cette tentation n’est-elle pas consubstantielle à sa nature comme le disait Victor Hugo : « Le progrès est le mode de l’homme. » ? La question est philosophique. On saluera néanmoins la clarté d’exposition d’un sujet aussi complexe qui devient, sous la plume de Eliette Abécassis, abordable et accessible. Dans cet ouvrage structuré, l’essayiste se veut exhaustive, plonge dans les tréfonds de la pratique de la GPA, collecte des exemples pratiqués à l’étranger, rapporte des témoignages, aborde le sujet sous toutes ses facettes : financière, médicale, morale, éthique et sociologique. La question de la GPA divise l’opinion ; elle met en lumière l’enjeu de positionnement social que symbolise le fait d’avoir un enfant. Ainsi, le livre est éclairant, une mine d’informations instructives pour les non initiés. Quel est son but ? Faire émerger une vérité sur le regard porté sur l’enfant, la famille, la maternité, l’Homme en général et sa quête du bonheur… Mais un angle essentiel est omis dans ce livre: la douleur née de l’impossibilité de donner la vie ! Face à cet oubli, on entend résonner cette phrase de Racine : « La douleur qui se tait n’en est que plus funeste » et cette autre de Georges Bernanos : « qui cherche la vérité de l’homme doit s’emparer de sa douleur ». Cette ellipse comme d’autres problématiques manquent à ce livre. Par exemple, si « La GPA crée artificiellement pour le bébé des difficultés d’adaptation », que penser de tous les enfants adoptés ? Si la GPA est « le commerce du corps », devrions-nous remettre en cause les testeurs médicaux, les essais pharmaceutiques ou cliniques rémunérés ? Pourquoi ne pas considérer l’argent versé à la femme porteuse non pas comme un « contrat », une « rémunération », une « transaction juridique et financière » mais comme une « assurance-vie » ou une compensation financière pour le suivi médical et la perte de salaire inhérente au congé de maternité ? Pourquoi inviter la question raciale dans le débat en opposant les femmes dites « porteuses », souvent de couleur et pauvres, aux femmes dites « receveuses d’enfant », généralement blanches et riches ? Sur ce dernier point dénoncé par Eliette Abécassis, pourquoi ne pas s’interroger aussi sur les raisons de l’augmentation du problème d’infertilité chez les femmes occidentales, pour peu que cela soit avéré ? Le psychanalyste Jean-Pierre Winter redéfinit le sigle GPA en « Grossesse Pour Abandon » ou « Grossesse Pour Argent ». Ne pourrait-on pas regarder l’autre versant de la médaille et parler pour les mères porteuses de Grossesse Par Altruisme ou de Grossesse Par Amour ? Après la lecture de cet essai, que l’on soit favorable ou opposé à la GPA, deux conclusions viennent à l’esprit : la femme est l’avenir de l’humanité et la GPA soulève la question de l’émancipation des femmes.
Laurence Eibel
Editions Robert Laffont
158 pages, 12 €