C’est dans un bistro à deux pas de la chambre des députés que j’ai entendu pour la première fois le nom d’Alain Paucard. Un ami venait de m’offrir Le dictionnaire des idées obligées. J’interroge : un franc-tireur ? Parisien plutôt. Parisien craignant qu’on ne l’éloignât un jour de Paris. Il s’était arrangé pour ne jamais quitter sa rue, s’arrangeant avec ses voisins pour sa survie (ce dernier mot est de lui).
Faire la marché à sa place, poster son courrier ou tout autre démarche qui lui éviterait de s’égarer dans une rue jouxtant la sienne. Cela paraissait tellement extravagant que j’avais du mal à y croire. Peu après, j’apprends la réalité : il connaît Paris comme sa poche ! Audacieux vadrouilleur comme Léo Malet. C’est vrai, il ne tient pas à quitter Paris. Faut-il être Stanley ou Livingstone pour être grand ? J’entends encore le rire de Michel Lebrun qui m’avait conseillé de me procurer Les almanachs du crime, celui de 1983 en particulier, pour aborder un autre aspect d’ Alain Paucard, son appétence à Marcel Aymé et David Goodis. J’aime les écrivains qui entrent en résistance, ces clandestins qui ne prennent les ordres que d’eux-mêmes. Ne leur demandez pas de hurler avec les jeunes loups de la critique ni de rejoindre une troupe de snobinards qui porte aux nues le grand écrivain du jour, le plat du jour ; le dernier film couronné à Cannes, forcément tout le monde glose dessus, ou ces grands metteurs en scène indéboulonnables, vaches sacrées. Gare aux contestataires !
Paucard débarque, se mêle à la conversation et comme au bowling lance sa première boule. Certes, Eric Rohmer a du talent mais il ne vaut pas Pagnol ! Nous restons figés, frappés par la foudre, l’atmosphère pèse. On récupère. Et c’est ainsi que j’apprends à mieux connaître Alain devenu un ami. Paucard, sa vie, son œuvre, aurait pu écrire Benjamin Péret.
Homme secret, généreux, chaleureux, prêt à la galéjade, Alain est avant tout un écrivain et pas un coupeur de cheveux en quatre. Pourquoi ses livres n’ont-il pas d’ombre ? Parce qu’ils sont l’expression de la vérité sentie, vécue ; la vérité nue qui se passe de garniture pour relever le plat. Ouvrez un de ses bouquins : dès la première page les mots simples sont en ordre de marche. Il dit ce qu’il a à dire. Il n’en dit pas trop. Surtout pas de tapage. L’évidence, le naturel qui n’a pas besoin de revenir au galop. Ne contournons pas les choses, n’accordons pas aux souvenirs une épaisseur qu’ils n’ont pas. Paucard homme de la mémoire, un mémorialiste dans son genre, aussi direct que Jacques Vaché dans ses Lettres de guerre. Paucard énonce, il n’affirme pas, il s’exprime, de la retenue s’il vous plaît. Il signale un épisode de sa vie, qui n’exclut ni malignité ni espièglerie. Il ne s’agit pas d’être brillant, ce n’est pas sa tasse de thé, il s’agit de représenter. Paul Léautaud n’est-il pas de cette famille ? Anarchiste, les mains pleines de pétards et de boules puantes, de poil à gratter, cet homme incorrigible sait depuis son adolescence qu’on ne l’obligera jamais à marcher au pas de l’oie. Français d’abord, bon Français auraient dit Maurice Chevalier, Trenet ou Brassens et pourquoi pas Francis Lemarque et pourquoi pas Francis Blanche, ce poète méconnu. Si Roger Vailland devait rééditer De la singularité d’être français, édition revue, corrigée et augmentée, il n’hésiterait pas à y inclure Alain Paucard avec sa manière propre à mettre les pieds dans le plat, à nous étonner avec La France de Michel Audiard, formidable livre. En vérité, le livre aurait pu d’intituler « La France d’ Alain Paucard » mais pour ne pas paraître à se donner des airs, le petit garçon qu’il est parfois pousse Audiard sur le devant de la scène en pouffant de rire dans son dos.
Le bon sens. Où l’avons nous laissé ? Et pourquoi cette expression produit-elle aujourd’hui l’impression que vous êtes un réactionnaire ? A-t-on encore le droit de rire sous cape ? Pensons à cet autre incorrigible parisien, Yves Martin, grand poète quelquefois tarabiscoté. Il hantait les rues, rejoignait par bistrots interposés Audiard et Paucard. On se souvient de la réplique de ce patron de troquet rue Marcadet répondant à Yves qui venait de lui commander un Coca : alors, je vous sers un beaujolais américain ? Mousquetaire du bistrot Paucard ? Que cela ne nous fasse pas oublier un livre recommandé par Paucard : Les horreurs de l’amour de Jean Dutourd. Encore un réactionnaire va-t-on me dire. Arrêtez les gars, n’en rajoutez pas une couche ! Photographes à vos appareils : venez tirer le portrait de Paucard passage Jouffroy, passage Puteau, serrer la main à Gilles Morris Dumoulin, cet inconditionnel de la chanson française. Suffit ! Paucard : j’aime, j’aime pas. On ne va quand même pas passer des heures que diable à se justifier, à décortiquer ! Chers lecteurs, dépêchez-vous procurer Marie-Jeanne. Une vie française, en supplément, Curieuse. Vous m’en direz des nouvelles !
Le mot de la fin : si Paucard se hérisse c’est parce que les gens préfèrent la plupart du temps l’aquaplane à la douche froide.
Alfred Eibel