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Archives Mensuelles: décembre 2012

Robert Walser : Lettres de 1897-1949

Vanté par Kafka et Robert Musil, l’écrivain suisse d’expression allemande Robert Walser (1897-1949) était un être instable, solitaire, mélancolique. Dans ses 262 lettres on sent un homme tatillon, au comportement d’adolescent, porté aux éloges, passant d’un sujet à l’autre sans crier gare dès lors qu’il lui fallait exprimer une vérité urgente. Parmi ses nombreux correspondants, Hermann Hesse et Max Brod. Walser a vécu à Soleure, Vienne, Munich, Berlin, et n’a pas connu de profession stable. Employé de banque, laquais au service d’un comte, bonne à tout faire. Sa vie, parcourue d’une sourde angoisse, son goût de l’humiliation, son existence matérielle difficile, ses crises dépressives et ses nombreux enfantillages, ses changements de domiciles, l’ont amené à séjourner plus d’une fois dans des cliniques psychiatriques. Ses lettres le montrent enjoué, désinvolte, aimant la neige et les longues promenades en forêt. Walser appartient à la tradition du romantisme allemand. Il rêve d’un monde idéal ; craint que celui-ci ne s’assoupisse. Il parle avec précipitation à ses interlocuteurs et peut dérouter. Il s’y connaît en amabilités lorsqu’il veut obtenir ce dont il a besoin dans les plus brefs délais. Il aime le silence, reste pensif des jours entiers, se montre indifférent à toute valeur sociale. Ce qui nous le rend proche, son enthousiasme juvénile, la limpidité de son style, une certaine grandeur. Oublié après sa mort, il est redécouvert en 1960. consacré comme un des écrivains majeurs du XXème siècle, sa réputation dépasse largement les frontières de la Suisse. Le nombre d’études qui lui ont été consacrées indique l’importance de son œuvre.

Alfred Eibel

Editions Zoé, 460 p., 28 €.

 
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Publié par le décembre 30, 2012 dans Uncategorized

 

Imbroglio negro

Trois bons exemples de romans noirs. Non parce que Iceberg Slim est Noir (1918-1992), mais parce que le monde noir qu’il décrit est stupéfiant, féroce, tragique et pas drôle. Durant trente ans Iceberg Slim, de son vrai nom Robert Beck, a été le plus important proxénète de Chicago. De longs séjours en prison l’ont fait réfléchir. Il quitte Chicago pour s’établir à Los Angeles. La publication de son autobiographie, « Pimp », lui assure une certaine notoriété. Sexe, héroïne, misère, alcool sont les maîtres mots qui ont cours dans les bas fonds de Chicago. Les macs s’y livrent à une concurrence sauvage. Rapaces sans compassion, prêts à estourbir d’autres Noirs pour gagner un marché. Il écrit : « Le trottoir verglacé est un miroir sombre reflétant le ciel morose et sans étoiles ». Expérience unique dans les lettres afro-américaines, Iceberg Slim nous assène son humour blessant, sauvage ; sa volonté obsessionnelle de capter le réel, tout le réel, rien que le réel. Retravaillés avec son éditeur, les manuscrits d’Iceberg Slim conservent néanmoins leur spontanéité, dans un joli désordre brut. Six livres publiés, six millions d’exemplaires vendus. Iceberg Slim emprisonne ses personnages dans leur vérité d’écorché vif comme pénétrant soudain dans les chiottes pour observer. Livres rauques, inéduqués, clameront les grands imbéciles lettrés. Ses livres bousculent les habitudes, ce n’est déjà pas si mal ; ses personnages assurent chaque soir leur survie du lendemain.

Alfred Eibel

Iceberg Slim : Pimp, Trick Baby, Mama Black Widow, Editions de l’Olivier, 1000 p., 23 €.

 
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Publié par le décembre 23, 2012 dans Uncategorized

 

100 crimes contre l’art, de Karin Müller

L’art attire les prédateurs. Les proies sont multiples, les coupables ne sont pas forcement des déséquilibrés. Les voleurs ne s’attaquent pas qu’à des Rembrandt ou des Vermeer. Plus facile à négocier paraît l’art moderne. Les vandales sont nombreux et ne se ressemblent pas. Ils ne sont pas très clairs avec eux-mêmes dans leur acharnement à souiller des tableaux de grands peintres. Les nazis sont responsables de nombreuses destructions de tableaux ; les bombardements alliés durant la dernière guerre le sont pareillement. L’urbanisme, impitoyable, prêt à déboulonner une statue de grande valeur, n’a pas d’états d’âme quand il s’agit de tracer une route. Ceux qui n’entendent rien à l’art, qui ont entassé des tableaux à une époque où les peintres n’étaient pas encore célèbres, ont sali ce qu’ils considéraient comme des croûtes. Des peintres renommés, mécontent d’une partie de leur production, l’ont détruite sans hésiter. Malin est celui qui dérobe un tableau authentique pour le remplacer par une copie. Le dindon de la farce est celui qui dérobe un tableau qui n’est qu’un faux. Avec talent, et, comme autant de petits romans à suspense, Karin Müller multiplie les exemples, ne cesse d’étonner par la variété des iconoclastes recensés. Précisons que ces hérétiques briseurs d’images se font prendre la plupart du temps ou ne retirent pas grand chose de leurs larcins. Les voleurs amateurs d’art sont-ils des connaisseurs, des experts ? On peut en douter. Ils affrontent la malédiction que ces œuvres d’art paraissent dégager. Pour eux, dérober un tableau portant une grande signature correspond à un exorcisme.

Alfred Eibel

Editions de l’Ecailler, 254 p., 18 €.

 
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Publié par le décembre 23, 2012 dans Uncategorized

 

Saute le temps, de Roger Rudigoz

Pour beaucoup Roger Rudigoz (1922-1996) reste un inconnu. Cet anarchiste inclassable à l’humeur vagabonde a publié chez Julliard une série de bouquins qui ont obtenu plus qu’un succès d’estime. Il a exercé plusieurs métiers lui permettant d’écrire libre, selon l’inspiration du jour, convaincu qu’un écrivain devrait pouvoir bouffer comme tout un chacun. Son état d’esprit, celui d’un Léautaud grognard. Ne se paie pas de mots, ne se plaint pas des jours sans fric. Audacieux, cavalier, sceptique sur le chapitre de l’amitié, attiré par les idées plus que par les hommes, Rudigoz ne voit pas une rêveuse bourgeoisie mais constate, déterminément, une bourgeoisie teigneuse. Il aime la franchise, le contact direct, se montre indulgent ; et, pour quelqu’un qui a connu tous les emmerdements de la vie, conserve sa bonne humeur. Âme sensible, il n’a pas la fibre politique. Il avoue : « J’ai été épouvantablement bien élevé » ce qui passe pour un infirmité. En littérature il aime la clarté « parce qu’elle est insolite dans le fatras où se trouvent d’ordinaire les sentiments, les idées, les actions des hommes ». Lecteur de Rousseau et de Maurras il constate qu’autour de lui grouille une société de pithécanthropes. Il faut faire avec, repérer les failles de la société pour s’engouffrer. Se réconcilier avec le monde, pourquoi pas, à condition de dormir avec un œil ouvert. Pour lui les événements importants sont ceux qui le concernent et non pas ce qu’on nomme les grands événements.

Alfred Eibel

 

Finitude, 216 p., 19,50 €.

 
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Publié par le décembre 19, 2012 dans Uncategorized

 

Journal 1942-1944, de Jacques Lemarchand

Issu de la bourgeoisie bordelaise, Jacques Lemarchand (1908-1974) est appelé par Jean Paulhan à succéder à Drieu à la tête de la NRF. Il entre au comité de lecture de Gallimard, se lie avec les écrivains et les critiques de son époque. Ce Journal fait figure d’agenda, dans lequel Lemarchand note de quoi est faite sa journée, soulignant ses rencontres par un bref commentaire ce qui au bout du compte donne l’impression de participer à sa vie heure par heure.  Il parle de ses égarements, de ses succès féminins alors qu’on le voit sur la brèche occupé à rétablir une situation financière défaillante. Sa recherche de travail l’amène durant ces années troubles à se faire de l’argent par des procédés peu communs en supplément de ses multiples obligations. Il collabore à Je suis partout, à La Gerbe, à Combat, au Figaro littéraire, à Comoedia. Ses collaborations ne signifient aucunement un quelconque engagement politique. Rencontre inopinées, joies, crises nerveuses et cafard alternés, théâtre, cinéma, rien ne manque à sa vie. Les déjeuners s’enchaînent, Lemarchand rapporte les propos de ses différents interlocuteurs. C’est tout le prix de ce Journal où l’Occupation est subie à travers le monde des lettres. Regret de la part de l’auteur qu’on n’est jamais celui que les autres voudraient que l’on soit. Il note : « Tous les espoirs de ces derniers jours étaient des rêveries ». L’abondance des notes enrichit considérablement ce premier tome du Journal qui couvre les années 40 comme c’est rarement le cas.

Alfred Eibel

Editions Claire Paulhan, 669 p., 50 €.

 
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Publié par le décembre 19, 2012 dans Uncategorized

 

Journal inexorable, de Maxence Caron

Il serait audacieux, mal venu, de résumer en quelques lignes un Journal de ce calibre, celui d’un homme qui ne se situe ni côté cour ni côté jardin, un philosophe de la liberté, un croyant, qui veut échapper, on le comprend, à ce qui l’obligerait, dans la société actuelle, à se conformer à la pensée unique, pour ne pas paraître hérétique. Si vous ne jouez pas du clairon dans le but de rassembler et de hurler avec les loups, vous subirez un sort identique à celui de la reine Hatchepsout dont on fit disparaître le nom de tous les monuments. Se présentant comme un anarchiste de droit divin, Maxence Caron ne rate pas une occasion de se montrer en contradicteur, contredisant. Il ne flatte pas le désir bourgeois, il n’est aux bottes de personne, il se défie des penseurs avec fond de teint qui apparaissent régulièrement à la télévision. Il se crispe, quand il entend parler d’artistes autoproclamés. Peu de réputations ont ses faveurs. C’est son côté Julien Benda. Lecteur de Claudel, il est un catholique comme on n’en fait plus. Nicolas Berdaïev (1874-1948) parle de la situation spirituelle de l’homme moderne. Maxence Caron évoque ce qui le relie à Dieu, à la musique ; car voici un homme que Beethoven bouleverse, pour qui Mozart est « profondément atteint par la lumière », et, passionné de cinéma, tient Fritz Lang pour un créateur sans rival. A l’écriture d’un classicisme exemplaire, s’ajoute sa part fulminante et frénétique, héritée de Céline, qui fait monter l’adrénaline d’un livre qui surprend par ses bourrasques.

 

Alfred Eibel

 

Éditions Via Romana, 769 p., 39 €.

 

 
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Publié par le décembre 9, 2012 dans Uncategorized

 

Dernières nouvelles du front sexuel, d’Ariane Bois

Leopold, chevalier von Sacher Masoch battu ! 80 exercices de gym amoureux. Les fantasmes les plus inattendus, pris sur le vif, dans la langue parfaite, celle des contes, loin de Perrault, proche de la bagatelle au temps présent. Grandes manœuvres et orgues, secousses, lieux improbables où personne ne va pour ça, situations inextricables, blagueurs et blagueuses, amis du lit à toute heure, femmes entre elles, de la tenue et de la retenue, parce que l’écriture d’Ariane Bois reste, quelles que soient les situations, les plus enchevêtrées, d’une belle concision. Évolutions et ovulations, partouzes (lâchons le mot), échanges de savoirs amoureux, jeux de mains et jeux de vilains, massages trompeurs. Ces messieurs-dames ambitionnent d’arriver au plus haut des cieux. Parfois, plus dure sera la chute. Attention ! Les chutes de ces saynètes créent la surprise. 80 flèches trempées d’humour décochées à Cupidon. Ensuite, l’envie, le désir, les tentations, saisissent hommes et femmes s’appuyant sur des détails : une mèche, un regard trouble, un sourire engageant, une torsion, un timbre de voix. Les éléments déclencheurs des grandes passions tiennent à un fil, souligne Ariane Bois, qui n’oublie aucun cas de figure. Ni celui du syndrome de la dépense, ni celui de la tragédie, ni les stratèges de l’amour façon Clausewitz, ni celui du détachement autorisant les audaces ; moins encore ceux qui ne quittent jamais Internet, leur meilleur entremetteur. On l’aura compris, il n’y a plus à hésiter, embarquons sans traîner sur le front sexuel et mêlons-nous aux passager imprévisibles.

Alfred Eibel

L’Editeur, 231 p., 15 €.

 
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Publié par le décembre 9, 2012 dans Uncategorized

 

A prendre ou à laisser, de Henri Roorda

Eric Dussert a établé et postfacé cette édition du Suisse Henri Roorda (1870-1925) et résumé sa forme d’esprit par ces deux mots : « constats burlesques », ce qui veut dire que notre humoriste, pessimiste joyeux, déniche dans nos actes les plus habituels la part d’absurde qu’ils contiennent. Maître de mathématique au collège classique et au gymnase de Lausanne, Henri Roorda embarrasse ceux dont l’émotion ne se produit pas au moment où elle devrait se produire, et ceux, qui aiment l’humanité en bloc, sans s’intéresser aux individus. Il lui suffit d’observer les passants de face ; après, de les observer de dos, pour en tirer des conclusions définitives qui épateraient un psy. L’attitude altière de ces passants, le balancement de leurs bras pour se donner de l’importance, fascine notre humoriste, particulièrement si ces passants s’enorgueillissent d’un ventre proéminent. Pas dupe pour un sou, Roorda sait que la formule « aimez-vous les uns les autres » émane d’un cerveau pince-sans-rire. Il affirme que ce qui est évident n’est pas toujours convaincant. Il lui arrive de faire l’âne pour avoir du foin quand il interroge le premier quidam venu sur des questions élémentaires de la vie courante, insinuant que les malheurs du monde proviennent d’un vocabulaire mal compris. Persuadé que si le réel est ce qu’on perçoit, le vrai ne peut être que ce que l’on conçoit. Proche d’un Alphonse Allais (1854-1905), il l’est également de ces deux ironistes allemands Leo Slezak (1873-1946) et Curt Goetz (1888-1960) qui eux ne sont pas tirés une balle au cœur comme ce fut le cas de Henri Roorda.

Alfred Eibel

Editions Mille et une nuits, 246 p., 5 €.

 
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Publié par le décembre 3, 2012 dans Uncategorized

 

Le crabe, l’ermite et le poète, de Jean-Luc Maxence

 Dans son livre Mars Fritz Zorn écrit : « Je crois que le cancer est une maladie de l’âme qui fait qu’un homme qui dévore tout son chagrin est dévoré lui-même, au bout d’un certain temps, par le chagrin qui est en lui ». Affliction ressentie par Marc Incognito alors que son médecin le rassure sur son cancer. Subsiste un doute. Ce doute pénètre l’homme comme un ver à bois. Ne sachant pas combien de temps il lui reste à vivre Marc s’appuie sur ce qui fonde sa personnalité. Une solitude méditative, le don de soi ; la foi, qu’une lecture attentive du père Foucauld fortifie, le goût des promenades, l’attente de rencontres inattendues. Marc aspire à une sorte d’aménité que Marcel Jouhandeau traduit par la sainteté, selon lui, le combe de la politesse. Marc se justifie en permanence. Chaque jour que Dieu fait s’ouvre devant lui le chemin de l’espérance qui alimente ses rêves. Il fait son examen de conscience, se rebelle contre un monde inepte. Ses souvenirs se bousculent, il songe à écrire un roman sur la maladie. Cela freine-t-il sa progression ? Le « pénitent inavoué » amoureux des livres, des femmes, au cours de ces réminiscences qui le taraudent, le rend amnésique du côté de la douleur. La maladie consolide-t-elle la mémoire ? Il rappelle son passé, le commémore ; à l’occasion, le déplore. En poète, il s’adosse à ses poètes de chevet qui lui font quitter ce qui le menace. Il cherche à s’accomplir dans ses rapports avec les autres. Livre d’un résistant ayant pris le maquis, pour sauver sa peau, Jean-Luc Maxence décrit un homme résolu à remonter sa vie, pariant sur la préservation des cellules saines ; dans l’espoir de semer une mort programmée.

Alfred Eibel

Editions Pierre-Guillaume de Roux, 269 p., 19 €.

 
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Publié par le décembre 3, 2012 dans Uncategorized