Va-t-on se plaindre que la culture générale ne sera plus à l’ordre du jour ? Il y a belle lurette qu’elle est contestée et contestable. Dès la fin des années 20 et encore dans les années 40. Par trois Helvètes : Henri Roorda, le Cioran suisse, qui fut aussi professeur ; par Edmond Gilliard, grand écrivain, trente ans prof à Lausanne. Dennis de Rougemont, penseur actif, qui a laissé une œuvre importante. Trois farouches adversaires de l’école. Parce que la science qu’on y instille appauvrit l’homme en soutenant des idées qui ne rapportent rien. Parce que l’école, écrit Edmond Gilliard, continue imperturbablement à « disserter sur des momies ». Parce qu’il est temps d’en finir avec « le bluff de la culture classique ». L’interprétation de textes n’est qu’un remâchage de gloses. N’est-il pas préférable s’interroge Henri Roorda de s’arrêter « patiemment avec l’enfant devant des choses vivantes, étonnante, émouvante ? ». Ça vous fait une belle jambe de savoir que Ciceron a écrit De la nature des dieux ; d’ânonner qu’en 1453 Constantinople fut prise par les Turcs ; ou que Casanova s’est évadé des Plombs du Palais Ducal ; ou que Rousseau trouva le bonheur aux Charmettes en compagnie de Madame Warens. « L’école apprend à parler pour ne rien dire » affirme notre trio. Ne perdons pas de temps, lisons Trois pamphlets pédagogiques (1) de nos trois iconoclastes. Rejoignons Paul Valery qui disait : « Le diplôme est l’ennemi mortel de la culture ».
Alfred Eibel
(1) Editions de l’Âge d’Homme, collection « Poche suisse ».