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Archives Mensuelles: mai 2012

Journal 1918-1933, de Hélène Hoppeno

Après le Journal de Mireille Havet qui révéla un écrivain, Claire Paulhan nous offre l’étonnant Journal de Hélène Hoppenot, femme de Henri Hoppenot nommé auprès de l’ambassadeur Paul Claudel à Rio de Janeiro en 1918. Hélène note ses impressions, le comportement rustique de Claudel, ses humeurs, son autoritarisme, ses bévues, son immense culture. Anecdotes et diverses attitudes trouvent leurs places dans ce journal. Partout où Henri Hoppenot fut nommé par la suite, que ce soit à Téhéran, Santiago du Chili, Beyrouth, Damas ou Berne, sa femme découvre des hommes de goût, enregistre des conversations, pleure la disparition de son « immense lévrier des steppes ». De passage à Paris, visite d’Adrienne Monnier. Hélène fait la connaissance de Henri Béraud, croise Erik Satie, Saint John Perse, Poulenc, Picasso, Cocteau, Sylvia Beach la libraire, peintres et musiciens. A Berlin, écrit-elle, « nous attendons de Moscou David Milhaud et Jean Wiener, pour lesquels nous organisons un concert. Valéry, Mistinguette et Duhamel sont annoncés ». Elle trouve matière à nourrir son journal par des remarques dignes de Saint-Simon ; insère dans son journal des passages significatifs du courrier reçu. Elle s’arrête un instant sur la dynastie des Casadesus, sur la duchesse de La Rochefoucauld « cérébrale et tendue » ; nous raconte non sans espièglerie l’impétuosité du couple Morand émergeant dans une ambassade. Livre irremplaçable, plus vivant qu’une biographie, on suit avec le plus grand intérêt la plume agile d’une femme qui accompagne des artistes dans leurs drôle de comportements.

Alfred Eibel

Editions Claire Paulhan, 639 p., 48 €.

 
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Publié par le mai 28, 2012 dans Uncategorized

 

Le roi lézard, de Dominique Sylvain

Paris, les années 60-70. Epoque insouciante dite des trente glorieuses. Des filles faciles, des camés en nombre. Des jeunes gens se baladent avec Les portes de la perception d’Aldous Huxley sous le bras. Le Rivage des Syrtes est commenté dans les bistrots. Brigitte Bardot ne reconnaît plus personne en Harley Davidson. Antonio Carlos Jobim crée la nostalgie avec The girl from Ipanema. Les avant-gardistes planent avec Castaneda, Aretha Franklin et Jim Morrison mort à Paris en juillet 1971, icône d’une génération. Louis Morvan hérite du bureau de filatures de son oncle assassiné dans de conditions obscures. L’inspecteur Casadès chargé d’enquêter sur le meurtre est rétrogradé sans que l’on sache pourquoi. Le commissaire Clementi, amant de Louise, cherche à élucider le mystère. Pour couronner le tout, le « Boucher des Quais » trucide avec application les SDF. Dominique Sylvain nous restitue un Paris sombre par une écriture forte, convulsive. Les indices s’égarent. Les témoins qui se taisent ne diffèrent guère de ceux qui n’en disent pas assez. La réalité est travestie pour dissimuler les failles et les odeurs nauséabondes. Nick Tosches nous dit que Jim Morrison appelé « Le roi lézard », a su faire de son désenchantement une musique d’une grande puissance, une véritable poésie. De son côté, la romancière qui n’a rien à envier à Ed McBain conjugue actions et commentaires, maintient la pression de ces « vérités cachées entre les lignes » dans ce roman fascinant.

Alfred Eibel

Viviane Hamy, 298 p., 18,50 €.

 
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Publié par le mai 28, 2012 dans Uncategorized

 

Une cerise pour couper le jeûne, de Hafez Khiyavi

Sept miniatures, sept histoires de voisinage dans une petite ville de province où tout le monde se connaît. Des histoires qui se compliquent par des chamailleries autour d’un petit sujet qui brusquement arrive sur le tapis. Les habitants s’y cramponnent, en font plusieurs fois le tour. C’est dans leur habitudes. Voici donc des contes oraux passés à l’écrit, arrivant dans leur grande simplicité et, littéralement parlant, dans leur plus grande nudité. Superstitions et croyances sont de la partie. Accents sacrés des dialogues affirmés comme des sourates. L’écart le plus élémentaire dans la vie passe pour un sacrilège. Il y a des rites auxquels on n’échappe pas, les potins autour d’une tasse de thé qui distillent un peu de chaleur humaine. Chaque nouvelle est un récitatif, mobilise le sacré, plongé dans un climat où se mélangent tous les parfums de l’Orient. Cela dit, le jeûne est à l’ordre du jour. Une cerise à ce moment-là, est-ce bien indiqué ? Savoir négocier les feuilles de vignes est un art, monter à dos de chameau un exploit. Soupirs et pleurs font partie du tableau. Ce qui n’empêche ni enlèvements ni exécution. La question se pose : comment se débarrasser des tabous qui emprisonnent une société suite à de longues habitudes ? Les histoires que nous raconte Hafez Khiyavi ne manquent pas de sel. Raison de plus pour se désaltérer aux sources fraîches de ces textes qui surprennent, déroutent, l’humour étant  l’ingrédient consubstantiel. Il faut tenter de temps en temps à s’abandonner à des féeries un peu tirées par les cheveux.

Alfred Eibel

Serge Safran éditeur, 182 p., 17 €.

 
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Publié par le mai 19, 2012 dans Uncategorized

 

L’homme qui aimait les îles, de D.H. Lawrence

Le héros de D.H. Lawrence quitte le monde et ses turbulences. Il rêve d’une île. Une fois installé, il sent la nécessité d’être secondé. Il fait venir un couple pour alléger ses difficultés. Ce couple n’amène que le désordre. Dès lors, l’ermite se met en quête d’une île nouvelle, réconforté par le saut dans un « autre infini ». Le tumulte des vagues crée d’étranges sensations. La mer, rien que la mer, le ressac. L’homme se croit épié ; se sent prisonnier de forces mystérieuses. La solitude n’est pas aisée. Une troisième île est envisagée ; cette fois, s’impose la présence d’une compagne. Le héros de D.H. Lawrence rêve d’îles des Hespérides, de jardins merveilleux, de pommes d’or. L’île du bonheur, le pays du sourire. Que de déconvenues, de rêves, mélangeant réalité et légende ! Loin du tumulte de la société que l’on fuit on n’atteint pas la félicité espérée. L’âme du héros est une embarcation fragile. Il est le rescapé d’événements qu’il ne maîtrise pas. D.H. Lawrence ne croit pas à un monde de pure perfection dès lors que l’imprévisible est en embuscade. Dégoût devant le fait accompli, perturbé par de nouvelles responsabilités. S’adapter, c’est s’adopter. L’île de la tranquillité est une utopie. Ce récit d’une grande sobriété fait entendre la voix de la raison, la vérité de l’impossible, par la couleur et le rythme, l’ébranlement direct de la sensibilité. La discorde déboule lorsqu’on force sa nature.

Alfred Eibel

L’Arbre Vengeur
15, rue Berthomé
33400 Talence
www.arbre-vengeur.fr

 

 
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Publié par le mai 5, 2012 dans Uncategorized

 

Hôtel de la solitude, de René Laporte

Né en 1905, mort en 1954, à 48 ans, des suites d’un accident, René Laporte n’a pas connu la gloire de son vivant. Philippe Soupault, André Beucler, Claude Roy, George Ribemont-Dessaignes, d’autres, ont reconnu son grand talent. D’une trentaine de livres publiés, celui-ci apparaît comme une incontestable réussite, un livre inspiré, un miracle en quelque sorte. Jérôme Bourdaine, bavard, joueur, coureur, s’enquiert de solitude dans un hôtel de la Côte d’Azur. Une mise à l’abri. Pour les clients de l’hôtel, miraculés d’une époque qui lance ses derniers feux, le spleen et les regrets sont les derniers soubresauts d’une longue crise d’asthme. Jérôme s’est engagé dans une cure de silence, une aphonie, avec flegme, en supplément un brin d’insolence, dans cet établissement où le mauvais goût a ses grandeurs qu’on ne dispute plus. Laporte écrit : « Il était maintenant en sentinelle devant les dernières lumières autorisées d’Europe ». Les pensionnaires absorbent, aspirent, respirent. L’imprévisible prend Jérôme de court lorsqu’arrive accompagnée d’un mari très réservé, Zoya, slave mystérieuse de par son naturel, un alliage de Diana Wynham et de Madame Chauchat tirée de la Montagne magique. Jérôme ne peut résister à son charme ; il fait le siège de Zoya. Mais la forteresse n’est qu’un triste mirage. Ce long poème en prose nous enchante par une suite de bonheurs d’expressions. Quelque chose de pressé anime René Laporte. Avec le recul du temps force est de constater qu’on savait écrire tandis que disparaît un autrefois aujourd’hui si séduisant.

Alfred Eibel

Le Dilettante, 124 p., 15 €.

 
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Publié par le mai 5, 2012 dans Uncategorized

 

La recette du pigeon à l’italienne, d’Alain Berenboom

Le lecteur des aventures de Tintin se retrouvera en terrain familier avec ce roman. Berenboom sait habilement typer ses personnages, mettant au premier plan Michel van Loo, détective privé bruxellois à l’esprit d’escalier. Michel est soutenu, aimé, choyé par Anne la jolie coiffeuse qui travaille au salon de coiffure de Federico, un ancien résistant communiste, sans omettre Hubert, le pharmacien juif polonais. Un joli quatuor soudé par une longue amitié. Hergé n’avait-il pas constitué un quatuor à sa façon ? Tintin, Milou, le capitaine Haddock, le professeur Tournesol ? L’esprit de Hergé s’insinue à chaque chapitre de ce roman du « gai savoir ». Sous des dehors ironiques, pince sans rire, lisant Berenboom, on songe aux Inscriptions de Louis Scutenaire. Immédiatement vous vient à l’esprit cette phrase : « C’est que, au fond, les mots demeurent toujours quelque part dans l’enfance où ils jouent ». Et puis il y a un anagramme. Pourquoi Ignazio Silone, le grand écrivain italien qui pratique une satire sociale âpre et véhémente, servie par un réalisme violent et poétique devient-il Ignazio Lisone, un gredin, un profiteur sans scrupules ? Berenboom bâtit son histoire sur un socle solide, social, historique, sur lequel il brode avec adresse qui doit un peu à Chandler.
Oui, l’esclavage a existé en Belgique dans les années 50, à la grande époque de Fausto Coppi et de Gino Bartali. Oui, des trafiquants ont fait venir d’Italie des pauvres bougres pour les plonger dans les charbonnages wallons, en des conditions hygiéniques déplorables, des être humains traités comme des bêtes, au point que quelques-uns y laissèrent leur peau sans parler de ceux qui s’en tirèrent avec des maladies incurables. Oui, il a suffit d’un syndicaliste courageux pour tenter d’aider ces travailleurs. Hélas, on le retrouve assassiné. Hélas encore concernant Ignazio Lisone, pourvoyeur de main d’œuvre étrangère, colombophile. Il transmet des messages par pigeon voyageur, retrouve son pigeon préféré estourbi, reçoit des menaces de mort. Allez vous y retrouver ! Cet oiseau de basse cour prend un sens imprévu. Qui cherche à pigeonner l’autre ? Oui, Alain Berenboom s’égaie en tenant fermement la main du lecteur. Car la réalité aussi horrible soit-elle n’interdit pas le rire aux éclats.

Alfred Eibel

Genèse Edition, 277 p., 22,50 €.

 
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Publié par le mai 5, 2012 dans Uncategorized