Le chien chien à sa mémère, d’André Baillon.
André Baillon (1875-1932) observe, se soumet aux choses, les quitte, détaille, particularise, impose la part burlesque des tragédies. Douze poursuites hors d’haleine. On passe d’un pot de fleurs qui gémit, au soldat à la recherche d’une femme grasse ; d’une Boule-de-Suif de province, au chien qui hennit, puis au poulet qui est un chat. Brusquement André Baillon lâche la bride à son style, puis freine. Il est l’inventeur du micro-trottoir des émotions, ce qui n’a rien d’étonnant. Sa vie déjantée est une série de défaites, un peu comme on enfile des perles.
Alfred Eibel
Éditions Finitudes, 144 p. 14,50 €.
Le territoire du crayon, de Robert Walser.
Orfèvre de proses brèves, Robert Walser (1878-1956), un des grands écrivains de langue allemande, transfigure le quotidien, s’amuse de tout, naïf et conscient, joyeux mais sérieux, habitué à saisir l’impalpable, accoutumé à sauter les obstacles narratifs. Il oblige le lecteur à se pencher sur les riens d’un jour, sur le mystère des banalités, sur les causes aux effets inattendus, situés loin de la cause imaginée. La préférence, dit-il, va à ce qui n’est pas ardu, pas trop délicat à dire, sans aller vers la facilité. 77 textes délectables.
Alfred Eibel
Éditions Zoé, 441 p. 18 €.
Livre de rentrée. Mini-choix de Valeurs.
Brouillard, de Jean-Claude Pirotte.
Jean-Claude Pirotte, à ses débuts, avec une régularité de métronome, s’échappe de l’univers clos qu’est la société. La liberté est sinueuse, elle a un prix. Le narrateur de Brouillard, prisonnier du cancer, tente de reprendre la main sur son passé. Classer ses souvenirs. Faire paraître les petits faits quotidiens plus gros qu’ils ne sont, les filtrer, les charger de poésie, des bribes de vie happées au hasard.
Ses maladresses, ses mauvaises fréquentations, son mariage obscur, ses malaises, tout mérite d’être signalé dans ce tohu-bohu de souvenirs rassemblés à la sauvette. « C’est un bonheur de se procurer son propre étonnement ». La tâche du poète, se laisser surprendre, mettre au net les fractions d’épaves qui remontent à la surface. Pirotte évoque le « nouveau siècle qui déjà se démantibule ». Il est temps de sauver les livres qui l’inspirent.
Alfred Eibel
Le Cherche-Midi éditeur, 144 p. 13,50 €.