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Archives Mensuelles: mai 2016

Jim Thompson, Pottsville, 1280 habitants

Nick Corey, shérif en chef du comté de Pottsville, est un traine-savates tourné en bourrique par sa femme, son abruti de frère, et par ses potes. Il est la risée de ceux qui abusent de sa gentillesse. C’est son côté gobe-mouche. Mais Nick est un homme patient dans un monde de bouseux. Il encaisse, un peu bébête quand les tracasseries l’accablent. Son calme a ses limites. Ne dit-on pas qu’il ne faut jamais chatouiller un lion avec une plume d’autruche. À force d’accumuler les désillusions, à force de se justifier, de s’exciter sans raison valable, d’en avoir plein les narines des mauvaises odeurs, obligé de faire l’apologie de son devoir, dissiper les malentendus notamment auprès des femmes, Nick finit par péter les plombs. Les actes destructeurs s’enchaînent, l’ignoble et l’odieux forment une nébuleuse aux effets entortillés. La nouvelle traduction de ce livre par Jean-Paul Gratias par rapport à la précédente, celle de Marcel Duhamel, colle au plus près du texte, fait mieux ressortir l’inénarrable, ne cherche pas à niveler la prose de Jim Thompson (1906-1977). Au contraire, Gratias s’adapte à ses cahots d’écriture, à sa lave déferlante. Les amateurs de « littérature policière douce » ne trouveront pas ici leur compte. Jim Thompson, qui eut une vie bien agitée, circonscrit une société de souteneurs, d’imbéciles heureux, de psychopathes tapis dans l’ombre. Dans sa vision pervertie de la société règne la corruption, la perte de l’honneur. Par contre il met en évidence son goût des humbles et des paumés, des dupés qui en ont marre de se laisser marcher sur les pieds. Thompson dénonce les mensonges passe-droits des bourricots. L’ensemble forme une galerie de portraits que Dostoievski n’aurait pas désavoué.

Alfred Eibel.

Éditions Rivages/Noir, 270 p. 8 €.

 
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Publié par le mai 21, 2016 dans Uncategorized

 

Baron Ludwig von Knorring : Journal intime. Saint-Pétersbourg, Moscou, Berlin, Mandchourie, 1903-1906

 À propos de la difficulté d’obtenir en Russie la moindre des choses à cause de la « sainte bureaucratie », le comte Pahlen nous dit : pour se faire même un W.-C., il ne faut pas moins de trois ministères : celui de l’Intérieur, celui des voies de communication pour les voies d’eau, et celui de l’Agriculture en vue de l’amélioration des champs ». Durant cette période, la guerre russo-japonaise bat son plein. Von Knorring œuvre au cœur du pouvoir tsariste, chargé de missions spéciales, surmené mais serein, constatant que l’horizon politique a mauvais aspect ; œuvrant de plus pour une bonne entente entre Berlin et Moscou. À l’horizon se profile une nouvelle Russie qui ne tardera pas à inquiéter le Tsar et sa Cour, à savoir le pouvoir entre les mains de personnages considérables. Von Knorring navigue entre barons et baronnes, comtes et comtesses, princes et grand Maréchal de la Cour, sans oublier quelques ambassadeurs. Tout ce joli monde ne sent pas venir les vents contraires. Par contre, il sait se tenir en société, mais ne sait que cela, se congratuler pour mieux se supporter. Knorring rapporte ce qu’il entend, ce qu’il voit, ce qu’il éprouve sans justifier ou couvrir qui que ce soit. Son journal découvert par hasard n’était pas destiné à la publication. Il en dit plus que ces mémorialistes qui s’attribuent des mérites qu’ils ne méritent pas. Avec Knorring, ni belles phrases, ni littérature. Il lui arrive de se retrouver dans une situation difficile. Son expérience le persuade qu’un homme de bien ne suffit pas toujours à faire un bon ministre. Le lecteur jugera. Il pourra s’interroger : comment en est-on arrivé là ? Né en 1859, Knorring fuit sa patrie après la prise du pouvoir par les bolcheviks. Il s’installe alors en Suisse, à Vevey, où il meurt en 1931.

Alfred Eibel.

Éditions des Syrtes, 271 p. 20 €.

 
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Publié par le mai 21, 2016 dans Uncategorized