Les cinéphiles chenus se souviennent avec émotion du volumineux « Amour, érotisme et cinéma » d’Ado Kyrou, qui dressa dans les années Cinquante la première « carte du désir » du septième art. Le lyrisme fébrile de Kyrou fit date, mais « date » aussi cet ouvrage pionnier relevant d’une guérilla critique outrageusement subjective. Inscrit dans une perspective surréaliste, son écriture visait moins à convaincre et argumenter qu’à nous communiquer sa propre ivresse. Le temps a passé, en même temps que changeaient nos goûts et nos exigences…
De proportions plus modestes, l’ouvrage de Jean-Luc Douin se présente sous la forme d’un dictionnaire « ouvert », proposant des synthèses denses et pertinentes et de simples esquisses et pistes de réflexion. On y trouve à la lettre « A » des entrées aussi diverses qu’Amour Fou, Aisselles, Alien, Harriet Andersson, Antonioni, Tex Avery… dont l’énoncé suffit à indiquer la multiplicité des angles d’approche. Dès les premières pages, le lecteur comprend que le sujet restera inépuisable, et son appréhension toute subjective.
Moins échevelé, et plus rigoureux que l’éclaireur Kyou, Douin laisse libre cours à sa propre sensibilité. À une époque où la critique manque cruellement d’enthousiasme, ses effusions sont de celles que réclame le sujet. Ses portraits très fins de Mireille Balin, Frank Borzage, Louise Brooks, Michel Deville, Ava Gardner, Rita Hayworth, Bergman et « toutes ses femmes », et bien d’autres encore témoignent d’un bonheur d’écrire communicatif, qui comble le lecteur,.
La structure se prêtait mal à une approche historique. On regrette cependant que le vétéran Douin fasse mine d’ignorer l’évolution des mœurs, de la censure, de la mise image de la sexualité, des manières de susciter le désir à l’écran. Peut-on encore évoquer le plat « Peter Ibbetson » en répétant comme parole d’évangile les déclarations des Surréalistes? Que nos grands-pères aient été fascinés par Theda Bara ou Musidora se comprend, mais que reste-t-il aujourd’hui de ces émois? Les entichements d’une nouvelle génération pour « Twilight » paraitront sans doute aussi ridicules dans vingt ans, mais pourquoi les ignorer aujourd’hui comme si l’histoire s’était figée? Enfin, et ce sera mon dernier reproche adressé à ce fructueux travail, Douin se place exclusivement dans une perspective adulte, masculine, hétérosexuelle, sans prendre en compte ce qui peut émouvoir, inspirer, exciter plus de la moitié du public. On aimerait tant savoir comment Gary Cooper, Charles Boyer, Gabin ou Clark Gable émurent nos mères, ce que les gays pensent de Marlene Dietrich, etc. Un autre dictionnaire, peut-être un jour, se penchera sur ces « continents noirs » de la critique…
Olivier EYQUEM
Jean-Luc DOUIN : « LE CINÉMA DU DÉSIR », éditions Joelle LOSFELD chez Gallimard 2012