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Archives Mensuelles: novembre 2012

« Le Cinéma du Désir », de Jean-Luc Douin

Les cinéphiles chenus se souviennent avec émotion du volumineux « Amour, érotisme et cinéma » d’Ado Kyrou, qui dressa dans les années Cinquante la première « carte du désir » du septième art. Le lyrisme fébrile de Kyrou fit date, mais « date » aussi cet ouvrage pionnier relevant d’une guérilla critique outrageusement subjective. Inscrit dans une perspective surréaliste, son écriture visait moins à convaincre et argumenter qu’à nous communiquer sa propre ivresse. Le temps a passé, en même temps que changeaient nos goûts et nos exigences…

De proportions plus modestes, l’ouvrage de Jean-Luc Douin se présente sous la forme d’un dictionnaire « ouvert », proposant des synthèses denses et pertinentes et de  simples esquisses et pistes de réflexion. On y trouve à la lettre « A » des entrées aussi diverses qu’Amour Fou, Aisselles, Alien, Harriet Andersson, Antonioni, Tex Avery… dont l’énoncé suffit à indiquer la multiplicité des angles d’approche. Dès  les premières pages, le lecteur comprend que le sujet restera inépuisable, et son appréhension toute subjective.

Moins échevelé, et plus rigoureux que l’éclaireur Kyou, Douin laisse libre cours à sa propre sensibilité. À une époque où la critique manque cruellement d’enthousiasme, ses effusions sont de celles que réclame le sujet. Ses portraits très fins de Mireille Balin, Frank Borzage, Louise Brooks, Michel Deville, Ava Gardner, Rita Hayworth, Bergman et « toutes ses femmes », et bien d’autres encore témoignent d’un bonheur d’écrire communicatif, qui comble le lecteur,.

La structure se prêtait mal à une approche historique. On regrette cependant que le vétéran Douin fasse mine d’ignorer l’évolution des mœurs, de la censure, de la mise image de la sexualité, des manières de susciter le désir à l’écran. Peut-on encore évoquer le plat « Peter Ibbetson » en répétant comme parole d’évangile les déclarations des Surréalistes? Que nos grands-pères aient été fascinés par Theda Bara ou Musidora se comprend, mais que reste-t-il aujourd’hui de ces émois? Les entichements d’une nouvelle génération pour « Twilight » paraitront sans doute aussi ridicules dans vingt ans, mais pourquoi les ignorer aujourd’hui comme si l’histoire s’était figée? Enfin, et ce sera mon dernier reproche adressé à ce fructueux travail, Douin se place exclusivement dans une perspective adulte, masculine, hétérosexuelle, sans prendre en compte ce qui peut émouvoir, inspirer, exciter plus de la moitié du public.  On aimerait tant savoir comment Gary Cooper, Charles Boyer, Gabin ou Clark Gable émurent nos mères, ce que les gays pensent de Marlene Dietrich, etc. Un autre dictionnaire, peut-être un jour, se penchera sur ces « continents noirs » de la critique…

Olivier EYQUEM

Jean-Luc DOUIN : « LE CINÉMA DU DÉSIR », éditions Joelle LOSFELD chez Gallimard 2012

 
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Publié par le novembre 27, 2012 dans Cinéma

 

Une vengeance d’hiver ou comment l’esprit vient aux secrétaires, de Hubert Monteilhet

Quand tout marche comme sur des roulettes c’est que rien ne va plus. Mademoiselle Julie Le Couédic, 22 ans, tient un journal intime. Elle n’a pas encore connu l’homme ; elle ne tardera pas à le connaître. Elle est secrétaire du grand avocat Maître Marc-Antoine Lafaucheux. C’est un homme à qui tout réussi. L’argent coule à flots, et du côté de sa femme. Sa fille est sagace ; lui, a un siège à la Chambre des Députés. Ses égards envers sa secrétaire, ses invitations répétées, finissent, on pouvait s’en douter, par la profanation de l’intimité de Julie. Précisons que sous ses airs de bécassine elle se montrera moins conne que Marc-Antoine pouvait l’imaginer. A partir du moment où Julie devient la maîtresse de Lafaucheux, moment hautement symbolique, il n’hésite plus à lâcher les amarres. La pente savonneuse l’attend, elle le mènera au-delà de la désespérance. Appelé « le Montherlant du polar », Hubert Monteilhet aime les environnements trompeurs, les récits en forme de journaux qui permettent d’être franc du collier. L’effronterie, la farce, la plaisanterie, ses vérités pas bonnes à dire et, pour faire bonne mesure, un brin de cruauté, de dépravation enveloppé d’humour ; en complément, la vengeance, sous ses aspects les plus inattendus, donne à l’écriture de Hubert Monteilhet un cachet particulier. Il ne s’en tient pas là. Il attend du lecteur de la perspicacité, à savoir reconnaître dans ses personnages de fiction, ceux qui dans la réalité lui ont servi de modèles.

Alfred Eibel

Editions de Fallois, 154 p., 16 €.

 
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Publié par le novembre 17, 2012 dans Uncategorized

 

L’île aux sarcasmes, de Pierre Drachline

Pierre Drachline se fait l’avocat du diable. Il cerne l’amante réfugiée dans une maison isolée sur une île de l’Atlantique. Il la révèle, il l’exhibe, il en fait une attraction, un diorama. Qui est-elle pour que le narrateur la désaffuble avec constance ? Une femme incernable, grande gueule, une révoltée. Elle entretient la flamme de la femme inconnue qu’elle est fière d’être. Elle est une inspiratrice, une muse de la démobilisation, une ombre portée comme dans un tableau de Chirico ; Une femme à l’écart du siècle qui fascine le narrateur par ses foucades, par l’acharnement qu’elle met à demeurer insociable. Cette sentinelle des contraintes tient tête aux gens qui l’approchent. La mobilité de l’une affronte l’immobilité de son interlocuteur : une instable face à un inbasculable. André Breton écrivait à propos de l’écriture de Benjamin Peret qu’elle correspond à une « sublimation » alchimique qui consiste à provoquer « l’ascension du subtil » par sa séparation avec « l’épais ». Cette constatation répond au travail de Pierre Drachline qui au demeurant appartient à la catégorie de ces moralistes indispensables par les temps qui courent, revigorant, parce qu’avec esprit de suite, Drachline se fait le chantre du découragement progressif. Seul le découragement permet de mettre à jour les vocations. Notamment celles qui portent en eux l’envie de vivre délivré de toutes les attaches. On retiendra en guise d’épilogue cette citation du baron d’Holbach : « De tous les arts, le plus difficile est celui de ramper ».

Alfred Eibel

Pascal Galodé éditeurs, 182 p., 20 €.

 
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Publié par le novembre 17, 2012 dans Uncategorized

 

Juste un baiser, de Denis Tillinac

Dix huit nouvelles qui nous font souvenir des trente glorieuses. De par leur ton, leur vitesse. On passe des rapports, aux raccords, entre hommes et femmes ; des désaccords en accords, dans un climat de légèreté. Les hommes, flegmatiques, ne ratent pas une occasion pour séduire, face à des femmes directives, rapides. Les battements de cœur s’accélèrent, l’homme pressé et grand voyageur rencontre la femme prompt à s’éclipser. D’une nouvelle à l’autre se nouent des amours de comète, des regards, un geste, des serrements de cœurs et de corps, des étreintes, des bisous convergeant jusqu’aux baisers. On ne conclut pas, on savoure les prémices. On engrange des souvenirs qui, en surimpression, en éveillent d’autres. Des liaisons inaccomplies galopent à travers ces nouvelles tandis que les reflets d’une réalité fantasmée occultent la plus élémentaire réalité. C’est bien là que gît le charme de ces histoires portées par des raccourcis inattendus. Brèves rencontres, brèves fréquentations. On baigne dans ces jours heureux qu’évoquait un jour Jünger. Ce qui n’exclut ni le crime, ni le viol, ni même l’esclave parmi ces corps tranquilles. Un romantisme tempère les départs L’art, dans les relations intimes est là pour assaisonner le désir. Les vacheries complètent les jeux amoureux. Rajoutons les traits d’esprits, la répartie immédiate, de la dignité et de la décence. L’écriture de Tillinac réussit à ranimer les braises, pour notre plus grand contentement.

Alfred Eibel

Editions Guena-Barley, 170 p., 17 €.

 
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Publié par le novembre 7, 2012 dans Uncategorized