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Archives Mensuelles: août 2011

Mal dedans, de Catherine Soullard

Prendre son mal de dents en patience. Catherine Soullard en fait la démonstration , n’oublie aucune étape de l’archéologie buccale. Le patient souffre. Il s’abandonne aux mains expertes de celui qui fouille les bouches ravagées. Bien sûr, le dentiste n’a plus rien à voir avec ces barbiers-chirurgiens qui ont longtemps fait office d’arracheurs de dents. Aujourd’hui, le dentiste explique ce qui va se passer, suite à un examen attentif du terrain, secondé par une jeune femme, petit soldat prêt à servir le maître sur un claquement des doigts. Le dentiste explique à quoi doit s’attendre le patient. Rendez-vous échelonnés sur des semaines. Conclusion : votre dentition n’est qu’une ligne Maginot en déconfiture. Chaque page de ce roman hallucinant remet en question la guérison dont le patient crédule espère une fin rapide alors que le dentiste explique qu’on est loin d’être sorti du tunnel. Les radios se multiplient. On se croirait à l’heure du carbone 14. Un premier bilan s’impose après une série d’interventions. Calculer le nombre de séances à venir, tenir compte du détartrage, de la réfection, de l’extraction, de l’appareil dentaire, du curetage, du bridge, des implants à 1000 euros l’unité. Le porte-monnaie en prend un sacré coup, mais, comme disent les dentistes revenus bronzés de vacances, sauver sa vie c’est d’abord sauver sa bouche. Entre le sérieux et l’envie de rire à gorge déployée à chaque nouvel épisode, l’humour de Catherine Soullard marque des points. Cette odyssée dentaire devrait conquérir un large public parce que nous sommes tous concernés si nous voulons conserver notre sourire enjôleur. Ceux qui ont lu « Charles du Bos chez le dentiste » de Paul Morand, retrouveront dans ce Mal dedans tout ce qu’ils ont toujours voulu savoir sur la stomatologie.

Alfred Eibel

Pierre Guillaume de Roux, 220 p., 18 €.

 
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Publié par le août 27, 2011 dans Uncategorized

 

« Les Avocats au Cinéma », de Christian Guéry

Magistrat cinéphile, Christian Guéry a consacré de nombreuses études aux rapports du cinéma et de la justice. Il nous donne ici un livre qui fera date sur un sujet original, rarement traité, dont il connaît, à l’évidence, les moindres aspects. L’ouvrage est le pendant idéal de « Justice à l’écran », qu’il publia en 2007 dans la même collection.

Précision liminaire : le livre prend aussi en compte les diverses séries télévisées françaises et américaines qui ont contribué à façonner l’image de l’Avocat. C’est donc bien de l’Avocat à l’écran qu’il est question ici.

En sept chapitres denses et précis, Guéry décrit le métier d’avocat tel qu’il s’exerce chez nous et aux États-Unis – et tel que l’écran le représente. Émaillé de nombreuses évocations de scènes, situations et portraits de personnages, l’ouvrage illustre les différences considérables entre justices française et américaine et l’écart entre fiction (s) et réalité (s). Les exemples, choisis au sein d’un vaste corpus franco-américain, comprennent aussi bien les grands classiques (AUTOPSIE D’UN MEURTRE, EN CAS DE MALHEUR, LA VÉRITÉ, TÉMOIN À CHARGE, LE PROCÈS PARADINE, Z, DU SILENCE ET DES OMBRES, THE VERDICT, etc.) que des films, séries ou téléfilms, de valeur artistique inégale, mais aux contenus éclairants.

Les stars du grand écran qui se sont illustrées dans des rôles d’avocat sont « citées à comparaître » : Vanel, Gabin, Bogart, James Stewart, Spencer Tracy, Katharine Hepburn, Kirk Douglas, Gregory Peck, Richard Widmark, Michael Douglas et bien d’autres trouvent ici la place qui leur revient, et cette très brève énumération pointe à elle la diversité et la multiplicité des représentations. La fiction télévisuelle est utilement convoquée, car elle constitue pour le grand public une source majeure d’information… et de désinformation. Bien qu’elle dispose rarement de grandes têtes d’affiche, elle a entrouvert ces dernières années les portes des cabinets d’avocats et donné à observer d’un peu plus près les rituels et règles de fonctionnement du métier. L’actualité, souvent perçue à travers le filtre de la fiction, a aiguisé notre intérêt pour les dysfonctionnements de la justice. Les grands faits divers criminels des dernières années, certains scandales retentissants ont offert une tribune inédite à nos « ténors », mués pour l’occasion en comédiens/tragédiens de haut vol. L’accès plus fréquent des caméras dans les cabinets des juges d’instruction ou au sein des prétoires, pour des « directs » percutant a pu nous donner l’impression fallacieuse de toucher du doigt les réalités du monde judiciaire. Il n’en est évidemment rien, sans un minimum de pédagogie, à quoi Guéry s’emploie d’une plume avisée et non dénuée d’ironie.

L’Avocat, nous dit l’auteur, a une double image dans la société : ange ou démon, selon les cas et le point de vue auquel on se place. Une vieille tradition en a fait un affairiste amoral, voire un « chasseur d’ambulances » qui n’hésite pas à démarcher la clientèle. Une autre, diamétralement opposée, célèbre en lui un protecteur de la veuve et de l’orphelin, un faiseur de miracles prêt à relever tous les défis. C’est entre ces deux extrêmes que se situe le plus souvent l’Avocat de cinéma, et qu’il balance parfois tout au cours d’un film, entre rédemption (Paul Newman, dans THE VERDICT de Sidney Lumet) et désillusionnement (Matt Damon, dans L’IDÉALISTE de Coppola).

L’Avocat aurait sans doute moins une image moins ambiguë si nous n’avions le tort de l’identifier à ceux qu’il a mission de défendre, et qui sont souvent… indéfendables. Cette confusion est si profondément ancrée dans les mentalités, elle suscite tant de malentendus, que Guéry fait bien de rappeler, citations à l’appui, la fonction première de l’Avocat… défendre, et les obligations qu’elle lui impose en dépit de la distance objective qu’il se doit d’observer à l’égard de son client.

Passé ces préambules, l’ouvrage entre dans le vif du sujet, avec un premier chapitre centré sur une figure spécifiquement américaine : « l’Avocat enquêteur ». Aux États-Unis, contrairement à la France, l’Avocat joue un rôle actif dans l’enquête (cf., notamment, AUTOPSIE D’UN MEURTRE ou THE VERDICT). Il se rend sur le terrain, interroge les proches et/ou la famille de son client, choisit les témoins les plus utiles à sa cause, élabore ses stratégies d’interrogatoire et contre-interrogatoire et s’informe de la jurisprudence. Certains grands cabinets font appel aux services de détectives privés pour étoffer le dossier du client, fouiller le passé du plaignant pour tenter de le déstabiliser. Vient ensuite la phase de préparation et de coaching des témoins, durant laquelle l’avocat procédera à des simulations d’interrogatoire et contre-interrogatoire afin de préparer « son » témoin à donner les bonnes réponses en évitant les mots pièges.

Le chapitre 2 évoque les subtiles relations de l’Avocat avec son client et les difficultés qu’il y a à représenter un accusé, à parler à sa place , à agir dans ses intérêts et dans le respect de la déontologie. Les règles de conduites les plus variables s’observent ici, certains se disant « prêts à descendre jusqu’au pire » (Maître Isorni), d’autres préférant présumer l’innocence de leur client (Lombard), alors que d’autres encore exigent de savoir (Bredin). La relation est mouvante : l’avocat et le client n’ont pas la même perception du dossier, et c’est dans cette tension que se construit la défense.

Dans le chapitre 3, Guéry traite de « l’Avocat et l’argent », autre sujet à controverse dans l’esprit du grand public. Il évoque, chiffres à l’appui, les montants facturés par les cabinets américains, le revenu moyen de l’avocat Français (bien plus modeste qu’on ne penserait). Au cinéma, l’Avocat est le plus souvent un bourgeois (Gabin dans EN CAS DE MALHEUR, James Mason dans THE VERDICT), auquel il arrive de perdre toute sa fortune sur une affaire (John Travolta dans A CIVIL ACTION). Mal vu lorsqu’il gagne « trop », l’Avocat se mue en héros lorsqu’il fait preuve de désintéressement (Gregory Peck, dans DU SILENCE ET DES OMBRES).

Le chapitre 4 est consacré aux relations de l’Avocat et des Juges. Par tradition, les magistrats sont dépeints comme des êtres froids, rigides, dénués de compassion. Laids au physique comme au moral, ils entretiennent des liens privilégiés avec le pouvoir (cf. les tribunaux militaires des SENTIERS DE LA GLOIRE, Z, SECTION SPÉCIALE). Le juge d’instruction, bien considéré lorsqu’il s’implique dans l’enquête (Delon dans LES GRANGES BRÛLÉES), paraît le plus souvent de mauvaise foi et suspect de partialité (LE JUGE ET L’ASSASSIN).

Ce chapitre décrit les règles de constitution des jurys, en France et aux États-Unis, en rappelant que le jury américain délibère seul, sans avoir à motiver sa décision. Pour « emporter le morceau », l’Avocat est donc contraint à la simplicité, et doit produire des témoins qui plaisent aux jurés. La dimension théâtrale, omniprésente dans le déroulé des audiences, fait de l’Avocat américain une star.

Les rites de ce spectacle font l’objet du chapitre 5 : « L’Avocat à l’audience », qui précise utilement les différences entre les systèmes français et américain et l’évolution du style oratoire. Les citations tirées des plaidoiries échevelées de Maîtres Isorni et Tixier-Vignancourt amuseront sans doute le lecteur.

Après une minutieuse analyse des 13 (!) retours en arrière successifs de LA VÉRITÉ (chapitre 4), Guéry réserve ici une place d’honneur au chef-d’œuvre de Preminger AUTOPSIE D’UN MEURTRE, référence incontournable pour qui s’intéresse tant soit peu à la Justice, à la quête de vérité et à l’insoluble ambiguïté des comportements humains.

Poursuivant son aller-retour entre réalité et fiction, France et États-Unis, l’auteur consacre les deux derniers chapitres à l’éthique (« L’Avocat et la morale ») et à la représentation de « L’Avocat comme héros ». L’avocat est « astreint à une conduite exemplaire », mais le cinéma ne manque pas de souligner ses failles et ses tares (l’alcool est responsable à lui seul de 60 % des poursuites disciplinaires engagées contre les avocats au Canada et aux États-Unis. La dépendance à l’alcool affectera, sur le continent nord-américain, 15 % à 24 % de la profession, contre 10 % dans la population générale.)

L’Avocat de fiction est couramment soupçonné de « mauvaises mœurs » : relations sexuelles avec ses clientes, recours à la prostitution, adultère, etc. Cet homme débordé a peu de temps à consacrer à sa vie privée, et condamne sa compagne à une solitude qui peut aboutir au suicide. On rencontre quelques Avocats franchement corrompus (Louis Calhern dans QUAND LA VILLE DORT, Robert Taylor dans la première moitié de PARTY GIRL), ayant franchi insidieusement la ligne en se mettant se mettant au service de la pègre (UN ALLER SIMPLE, POLICE, l’excellente série ENGRENAGES).

Contrepoint attendu de ce sombre tableau, l’Avocat Héros se dresse contre les abus de l’Armée (CONDAMNÉ AU SILENCE, OURAGAN SUR LE CAINE), lutte contre la peine de mort (JE VEUX VIVRE, LE GÉNIE DU MAL), mettant toutes ses ressources au service de justes causes. Pure fiction ? Pas si sûr, si l’on se rappelle les figures historiques exemplaires du jeune Lincoln et du brillant Clarence Darrow, bien faites pour nous rassurer sur les vertus d’une profession où l’homme s’engage toujours entier.

Christian Ghéry : « Les Avocats au Cinéma », PUF, coll. « Questions judiciaires », 2011, 30 €

Olivier Eyquem

 
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Publié par le août 19, 2011 dans Uncategorized

 

La maison Matchaiev, de Stanislas Wails

Point de départ de ce premier roman : une maison en Bourgogne. Matchaiev, l’ancien, vient de passer l’arme à gauche. Ses trois enfants héritent. Que faire d’une maison dont les murs retiennent du vécu ? Vera est là, Anne, Maël, Joshua, Corinne. Le livre est construit en séquences, tourne autour de dialogues plus vrais que nature, petits clichés sympathiques, expressions convenues, un peu mécaniques, mais indispensables si l’on veut qu’entre héritiers de vingt à trente ans le courant passe. Waits saisit la bonne tonalité de ces dialogues, le débit, les exclamations répétées pour pallier la vie monotone qui attend. On se bat les flancs pour trouver une bonne solution pour la maison. Vider son sac est impératif. Il arrive aux héritiers de poursuivre une conversation entre eux sans trop savoir pourquoi, ça fait partie de la situation. Pour le plaisir de raisonner, d’avancer des arguments, tenter de convaincre ou réciter : on avisera. Ce qui importe, faire croire qu’on est bien dans sa peau, dans le coup du monde tel qu’il est. On accouche de banalités, pourquoi pas, pourvu que la forme sache bien les envelopper. L’écriture de Stanislas Wails vise à reproduire les multiples facettes d’une famille décontenancée par ce qui leur arrive, au caractère mouvant, au type de langage spécial, qui est la conséquence de leur jeunesse assortie de puérilité, surtout lorsqu’on s’affole. On quitte à regret les membres de cette famille comme on quitte une bande de copains.

Alfred Eibel

Serge Safran éditeur, 250 p., 17 €.

 
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Publié par le août 18, 2011 dans Uncategorized

 

Le long silence de la steppe. Mongolie en 1985 et 1991, d’Olivier Marmin

Dans Escales parmi les livres, ce grand voyageur que fut t’Serstevens fait ressortir qu’un bon livre de voyage doit réunir deux qualités essentielles : « savoir décrire et savoir écrire ». Ce qui nous amène au livre d’Olivier Marmin (1949-2009). Danseur, historien de la danse, professeur, voyageur et libraire, il visite la Mongolie, un pays aride, aux étés chauds et aux hivers très rigoureux. Des paysages surprenants, des rencontres imprévues. Voyager : un dialogue sans cesse interrompu, sans cesse repris. Olivier Marmin parle « d’un autre monde, très loin du monde… ». Ella Maillart, qui voyagea en compagnie de Peter Fleming, le frère de Ian, dans le désert de Gobi, parle d’une « recherche incessante vers le réel ». Olivier Marmin pourrait faire sienne ce qu’Alain Gerbault, navigateur solitaire, répondait à ceux qui lui demandait ce qu’il faisait quand il était seul : « Je m’écoute vivre et c’est un bruit merveilleux ». D’une érudition peu commune Marmin le pérégrin note « la steppe joue les caméléons en suivant les nuages du ciel ». Ses souvenirs renvoient à ses auteurs de prédilection ce qui rend plus précieux encore ce petit livre si joliment rythmé. Cette tentation de la steppe fait écho par ses visions à la Tentation de l’Orient de Jean-Marc Lovay ; long silence de la steppe, s’inscrivant dans la continuité d’un Nicolas Bouvier et de son bon Usage du Monde. Climat, ciel, place de la lune, parfums, neige sournoise, participent à une vie renouvelée, recrée, comme sut la rendre  Olivier Marmin.

Alfred Eibel

L’Harmattan, 83 p., 11 €.

 
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Publié par le août 18, 2011 dans Uncategorized

 

Place des savanes, de Jean-Claude Pirotte

Peu importe le sujet : le crime d’un inconnu dans une auberge, un curieux paroissien flanqué de deux geishas, un garçon qui s’inquiète, se torture ; des individus occupés à reconstituer le puzzle autobiographique de l’auteur qui considère la vie comme une suite d’interrogations, d’épreuves, de réponses biaisées. On dirait un convive dans une taverne se déplaçant de table en table un verre de vin à la main pour allumer des conversations. Nous sommes en présence d’un raconteur d’histoires réfractaire à ce que la vie veut imposer, prêt à ranimer des vieilles nostalgies faites d’insolite, d’humour et d’impertinence. En somme, voler le temps que les autres laissent filer. « Surtout pas d’idées ! Des images, rien que des images, voilà ». Des images qui jouent à cache-cache, s’affranchissant d’une vie prévue d’avance, avec l’objectif de faire naitre des merveilles ; provoquer les repères et les relais de la sensibilité ; répercuter les échos intimes. Les détours de la prose de Jean-Claude Pirotte enserrent le désir, retiennent les sensations, inventent des souvenirs pour les faire vibrer dans leur plénitude. Les dialogues s’enchainent promptement dès lors que la convivialité entre en scène. Le conteur est à son affaire. On le suit dans un bar où s’inventent des recettes, où une femme épaissit le mystère qui l’entoure, devant un patron silencieux qui apprend à boire à des clients drôles d’oiseaux.

Alfred Eibel

Le Cherche-Midi, 141 p., 15 €.

 
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Publié par le août 12, 2011 dans Uncategorized

 

Un homme inutile, de Valère Staraselski

Pire que de perdre le manteau de Gogol, se retrouver au chômage. Brice Beaulieu endosse  la défroque. Les personnages sont banals, ils hantent la capitale. Ce qui se passe ici tient à une vision particulière, à ce qui se dissimule derrière les visages, un univers de détails observés à la loupe avec lesquels on n’avait pas compté. Et pour cause. Les infortunes font dégringoler. S’ensuit un lent affaiblissement de la personne. Dans une ville qui apparaît en permanence chargée d’orage, hommes et femmes guettent les instants heureux que la vie infuse. Les mystères de Paris se changent en misères de Paris. Les jours se répètent mais les esprits n’évoluent pas. Le temps a-t-il sa logique ? Ou faut-il que l’incongruité du jour morde sur nos préoccupations ? En médecin légiste Valère Staraselski autopsie ses personnages. Non seulement il n’y a pas de héros dans ce livre qui fonctionne comme les variations de Goldberg de J.S Bach ; il n’y a pas non plus, d’actes, de poses, de positions épiques que l’auteur ferait prendre à ceux qui auraient eu l’imprudence de confondre société généreuse du vivre ensemble avec liberté cadrée, encadrée. L’œuvre exprime le grotesque, l’immonde, d’une humanité qui se digère, que la médiocrité satisfait pleinement. Il traduit l’ironie et la désespérance sur un ton presque martial.

Alfred Eibel

Le Cherche-Midi, 194 p., 14 €.

 
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Publié par le août 6, 2011 dans Uncategorized