
Magistrat cinéphile, Christian Guéry a consacré de nombreuses études aux rapports du cinéma et de la justice. Il nous donne ici un livre qui fera date sur un sujet original, rarement traité, dont il connaît, à l’évidence, les moindres aspects. L’ouvrage est le pendant idéal de « Justice à l’écran », qu’il publia en 2007 dans la même collection.
Précision liminaire : le livre prend aussi en compte les diverses séries télévisées françaises et américaines qui ont contribué à façonner l’image de l’Avocat. C’est donc bien de l’Avocat à l’écran qu’il est question ici.
En sept chapitres denses et précis, Guéry décrit le métier d’avocat tel qu’il s’exerce chez nous et aux États-Unis – et tel que l’écran le représente. Émaillé de nombreuses évocations de scènes, situations et portraits de personnages, l’ouvrage illustre les différences considérables entre justices française et américaine et l’écart entre fiction (s) et réalité (s). Les exemples, choisis au sein d’un vaste corpus franco-américain, comprennent aussi bien les grands classiques (AUTOPSIE D’UN MEURTRE, EN CAS DE MALHEUR, LA VÉRITÉ, TÉMOIN À CHARGE, LE PROCÈS PARADINE, Z, DU SILENCE ET DES OMBRES, THE VERDICT, etc.) que des films, séries ou téléfilms, de valeur artistique inégale, mais aux contenus éclairants.
Les stars du grand écran qui se sont illustrées dans des rôles d’avocat sont « citées à comparaître » : Vanel, Gabin, Bogart, James Stewart, Spencer Tracy, Katharine Hepburn, Kirk Douglas, Gregory Peck, Richard Widmark, Michael Douglas et bien d’autres trouvent ici la place qui leur revient, et cette très brève énumération pointe à elle la diversité et la multiplicité des représentations. La fiction télévisuelle est utilement convoquée, car elle constitue pour le grand public une source majeure d’information… et de désinformation. Bien qu’elle dispose rarement de grandes têtes d’affiche, elle a entrouvert ces dernières années les portes des cabinets d’avocats et donné à observer d’un peu plus près les rituels et règles de fonctionnement du métier. L’actualité, souvent perçue à travers le filtre de la fiction, a aiguisé notre intérêt pour les dysfonctionnements de la justice. Les grands faits divers criminels des dernières années, certains scandales retentissants ont offert une tribune inédite à nos « ténors », mués pour l’occasion en comédiens/tragédiens de haut vol. L’accès plus fréquent des caméras dans les cabinets des juges d’instruction ou au sein des prétoires, pour des « directs » percutant a pu nous donner l’impression fallacieuse de toucher du doigt les réalités du monde judiciaire. Il n’en est évidemment rien, sans un minimum de pédagogie, à quoi Guéry s’emploie d’une plume avisée et non dénuée d’ironie.
L’Avocat, nous dit l’auteur, a une double image dans la société : ange ou démon, selon les cas et le point de vue auquel on se place. Une vieille tradition en a fait un affairiste amoral, voire un « chasseur d’ambulances » qui n’hésite pas à démarcher la clientèle. Une autre, diamétralement opposée, célèbre en lui un protecteur de la veuve et de l’orphelin, un faiseur de miracles prêt à relever tous les défis. C’est entre ces deux extrêmes que se situe le plus souvent l’Avocat de cinéma, et qu’il balance parfois tout au cours d’un film, entre rédemption (Paul Newman, dans THE VERDICT de Sidney Lumet) et désillusionnement (Matt Damon, dans L’IDÉALISTE de Coppola).
L’Avocat aurait sans doute moins une image moins ambiguë si nous n’avions le tort de l’identifier à ceux qu’il a mission de défendre, et qui sont souvent… indéfendables. Cette confusion est si profondément ancrée dans les mentalités, elle suscite tant de malentendus, que Guéry fait bien de rappeler, citations à l’appui, la fonction première de l’Avocat… défendre, et les obligations qu’elle lui impose en dépit de la distance objective qu’il se doit d’observer à l’égard de son client.
Passé ces préambules, l’ouvrage entre dans le vif du sujet, avec un premier chapitre centré sur une figure spécifiquement américaine : « l’Avocat enquêteur ». Aux États-Unis, contrairement à la France, l’Avocat joue un rôle actif dans l’enquête (cf., notamment, AUTOPSIE D’UN MEURTRE ou THE VERDICT). Il se rend sur le terrain, interroge les proches et/ou la famille de son client, choisit les témoins les plus utiles à sa cause, élabore ses stratégies d’interrogatoire et contre-interrogatoire et s’informe de la jurisprudence. Certains grands cabinets font appel aux services de détectives privés pour étoffer le dossier du client, fouiller le passé du plaignant pour tenter de le déstabiliser. Vient ensuite la phase de préparation et de coaching des témoins, durant laquelle l’avocat procédera à des simulations d’interrogatoire et contre-interrogatoire afin de préparer « son » témoin à donner les bonnes réponses en évitant les mots pièges.
Le chapitre 2 évoque les subtiles relations de l’Avocat avec son client et les difficultés qu’il y a à représenter un accusé, à parler à sa place , à agir dans ses intérêts et dans le respect de la déontologie. Les règles de conduites les plus variables s’observent ici, certains se disant « prêts à descendre jusqu’au pire » (Maître Isorni), d’autres préférant présumer l’innocence de leur client (Lombard), alors que d’autres encore exigent de savoir (Bredin). La relation est mouvante : l’avocat et le client n’ont pas la même perception du dossier, et c’est dans cette tension que se construit la défense.
Dans le chapitre 3, Guéry traite de « l’Avocat et l’argent », autre sujet à controverse dans l’esprit du grand public. Il évoque, chiffres à l’appui, les montants facturés par les cabinets américains, le revenu moyen de l’avocat Français (bien plus modeste qu’on ne penserait). Au cinéma, l’Avocat est le plus souvent un bourgeois (Gabin dans EN CAS DE MALHEUR, James Mason dans THE VERDICT), auquel il arrive de perdre toute sa fortune sur une affaire (John Travolta dans A CIVIL ACTION). Mal vu lorsqu’il gagne « trop », l’Avocat se mue en héros lorsqu’il fait preuve de désintéressement (Gregory Peck, dans DU SILENCE ET DES OMBRES).
Le chapitre 4 est consacré aux relations de l’Avocat et des Juges. Par tradition, les magistrats sont dépeints comme des êtres froids, rigides, dénués de compassion. Laids au physique comme au moral, ils entretiennent des liens privilégiés avec le pouvoir (cf. les tribunaux militaires des SENTIERS DE LA GLOIRE, Z, SECTION SPÉCIALE). Le juge d’instruction, bien considéré lorsqu’il s’implique dans l’enquête (Delon dans LES GRANGES BRÛLÉES), paraît le plus souvent de mauvaise foi et suspect de partialité (LE JUGE ET L’ASSASSIN).
Ce chapitre décrit les règles de constitution des jurys, en France et aux États-Unis, en rappelant que le jury américain délibère seul, sans avoir à motiver sa décision. Pour « emporter le morceau », l’Avocat est donc contraint à la simplicité, et doit produire des témoins qui plaisent aux jurés. La dimension théâtrale, omniprésente dans le déroulé des audiences, fait de l’Avocat américain une star.
Les rites de ce spectacle font l’objet du chapitre 5 : « L’Avocat à l’audience », qui précise utilement les différences entre les systèmes français et américain et l’évolution du style oratoire. Les citations tirées des plaidoiries échevelées de Maîtres Isorni et Tixier-Vignancourt amuseront sans doute le lecteur.
Après une minutieuse analyse des 13 (!) retours en arrière successifs de LA VÉRITÉ (chapitre 4), Guéry réserve ici une place d’honneur au chef-d’œuvre de Preminger AUTOPSIE D’UN MEURTRE, référence incontournable pour qui s’intéresse tant soit peu à la Justice, à la quête de vérité et à l’insoluble ambiguïté des comportements humains.
Poursuivant son aller-retour entre réalité et fiction, France et États-Unis, l’auteur consacre les deux derniers chapitres à l’éthique (« L’Avocat et la morale ») et à la représentation de « L’Avocat comme héros ». L’avocat est « astreint à une conduite exemplaire », mais le cinéma ne manque pas de souligner ses failles et ses tares (l’alcool est responsable à lui seul de 60 % des poursuites disciplinaires engagées contre les avocats au Canada et aux États-Unis. La dépendance à l’alcool affectera, sur le continent nord-américain, 15 % à 24 % de la profession, contre 10 % dans la population générale.)
L’Avocat de fiction est couramment soupçonné de « mauvaises mœurs » : relations sexuelles avec ses clientes, recours à la prostitution, adultère, etc. Cet homme débordé a peu de temps à consacrer à sa vie privée, et condamne sa compagne à une solitude qui peut aboutir au suicide. On rencontre quelques Avocats franchement corrompus (Louis Calhern dans QUAND LA VILLE DORT, Robert Taylor dans la première moitié de PARTY GIRL), ayant franchi insidieusement la ligne en se mettant se mettant au service de la pègre (UN ALLER SIMPLE, POLICE, l’excellente série ENGRENAGES).
Contrepoint attendu de ce sombre tableau, l’Avocat Héros se dresse contre les abus de l’Armée (CONDAMNÉ AU SILENCE, OURAGAN SUR LE CAINE), lutte contre la peine de mort (JE VEUX VIVRE, LE GÉNIE DU MAL), mettant toutes ses ressources au service de justes causes. Pure fiction ? Pas si sûr, si l’on se rappelle les figures historiques exemplaires du jeune Lincoln et du brillant Clarence Darrow, bien faites pour nous rassurer sur les vertus d’une profession où l’homme s’engage toujours entier.
Christian Ghéry : « Les Avocats au Cinéma », PUF, coll. « Questions judiciaires », 2011, 30 €
Olivier Eyquem