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Archives Mensuelles: février 2014

Mes scandales, de Gabriel Astruc

Gabriel Astuc (1864-1938), journaliste, éditeur, impresario, a su mobiliser mécènes, financiers, banquiers, pour ses projets musicaux, autant d’aérolithes tombés dans la société choisie du Faubourg Saint-Germain. En 1907, Salomé de Richard Strauss défrise un public familier de la danse sage. Ce qui n’était pas le cas d’Ida Rubinstein, la Louise Brooks de la danse, la danse des sept voiles, trop suggestive. 1912, le danseur Nijinski dans Prélude à l’après-midi d’un faune de Mallarmé et Claude Debussy hérisse un public habitué aux spectacles de routine. Peu avant, en 1910, Gabriele d’Annunzio défend d’une voix forte et retentissante son texte du Martyr de Saint Sébastien de Claude Debussy alors que les spectateurs en font une affaire de moralité publique devant une Ida Rubinstein dans le rôle de Saint Sébastien, moulée dans une armure. Ce qui n’est rien à côté du Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky montée en 1913, véritable séisme musical, une chorégraphie révolutionnaire, trop rythmée pour une bourgeoisie saisie par l’apathie, ce sacre, pourtant, comptait à l’époque des défenseurs acharnés. Le plus choquant : la musique ou la danse ? Gabriel Astruc croit que cela pourrait être ces drôles de ballets. Si la nouveauté est un scandale, elle se justifie à condition que son éclat traverse les âges. Par exemple, dans les années cinquante, à Vienne, Salomé faisait encore fuir des mélomanes restés sous le charme du Chevalier à la rose.

 

Alfred Eibel

Editions Claire Paulhan, 159 p., 26 €.

 
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Publié par le février 26, 2014 dans Uncategorized

 

Frédéric Dard : Romans de la Nuit

Certains préfèrent Frédéric Dard, d’autres ne jurent que par San Antonio au délire scriptural. Où est la vérité ? Nourri des grands du polar américain, Dard a biberonné Rabelais, Francis Carco et Paul-Jean Toulet. Arrivés au carrefour de leur vie, ses personnages s’emballent. Naïfs, ils seront dupés. Impénitents, ils se dépêcheront de courir vers les gouffres. L’un dit : « J’avais besoin d’aller jusqu’au bout du confortable ennui qui me rongeait ». Paris n’est pas sombre comme la tombe où repose un ami, mais semblable à un décor factice qui piège les faux ambitieux. Ce n’est pas l’ombre du grand mur, c’est sa propre ombre qui file le train à son héros. Manque d’expérience, il se ronge les ongles, souffle sur les braises de la frustration. Frédéric Dard a beaucoup appris du cinéma pour lequel il a activement travaillé. Il a épuré son écriture. Il est l’arpenteur d’une intrigue qui porte sens. Au bout du compte, peu d’espoir dans ses livres en quoi il rejoint l’œuvre d’André Héléna. En exergue aux Romans de la Nuit inscrivons cette phrase cueillie dans la correspondance de Vincent Voiture : « Je suis plus malade que je ne fus jamais en un lieu où il n’y a point de remède pour moi ».

 

Alfred Eibel

Omnibus, 864 p., 26 €.

 
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Publié par le février 26, 2014 dans Uncategorized

 

Ange Bastiani : Le bréviaire du crime. Comment supprimer son prochain à moindre risque.

Comment se débarrasser d’un gêneur. Pour y parvenir suivre les préceptes de Maurice Raphaël, vanté par André Breton et Raymond Guérin, sous le pseudonyme d’Ange Bastiani (1918-1977). Il offre la possibilité de se débarrasser d’un rival, d’un concurrent, d’un maître chanteur ou, pourquoi pas, d’un membre de la famille. On sait qu’un bréviaire est le livre de l’office divin ; dans le cas présent, c’est un livre de devoir estourbir un témoin. Ce bréviaire ne renferme pas de formules de prières. Avant de formuler le geste fatal préparé avec minutie, ne rien laisser dans l’ombre, surtout prier pour ne pas être pris. Meilleur écrivain que les spécialistes de l’argot, doté d’un incontestable talent d’écrivain, méconnu parce que voyou sur les bords, Ange Bastiani fut un collabo, un homme de combines obscures, réfractaire aux ordres, prêt à lâcher du lest pour parvenir à ses fins. Sa vie chaotique devient un terreau fertile. Il prévient : « Attention aux confettis et aux balles perdues ». D’où une œuvre variée, inspirée, parfois bâclée, néanmoins aux envolées de pages formidables. Cet homme est digne de figurer aux côtés de Léo Malet, d’André Héléna, d’Auguste Le Breton, d’Albert Simonin.

Alfred Eibel

L’Arbre Vengeur, 443 p., 23€.

 
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Publié par le février 26, 2014 dans Uncategorized

 

MONSIEUR STARK de Pierre Girard.

 

 

 

Longtemps agent de change, Pierre Girard (1892-1956) a changé de registre imbibé qu’il est de littérature « comme dans un bocal le cornichon l’est au vinaigre ». Auteur de nouvelles, de romans, ce Genevois a toujours vécu à Genève. Il fait montre d’un « organe spécial qui tamise la matière et qui, sans la changer, la transfigure » (Gustave Flaubert). Monsieur Stark est à la tête d’une usine de cigarettes américaines. Il sent venu le moment de favoriser la belle Sophora échappée d’un roman de Dorothy L. Sayers, jambes admirables, trainant derrière elle des senteurs, des arômes. Elle sème de la poudre de riz, ne flirte pas, enchante, secoue ses cheveux blonds et la lumière fut. Dans cette usine l’important est le rendement. Peu importe le moyen d’y parvenir, y compris la flemme, y compris les comportements futiles qui permettent le progrès. Pierre Girard renouvelle les années folles. Il ne s’interdit pas d’entrer dans un jardin merveilleux des fleurs à la main. René Étiemble écrivait que comparaison n’est pas raison. Pierre Girard, en revanche, trouve les bons parallèles. Paul Morand lui reprocherait un excédent de crème fouettée. À quoi Pierre Girard pourrait répondre qu’elle relève le goût. L’alcool, les tête-à-tête, les mets délectables, l’hédonisme, n’excluent pas le scepticisme, ni la révolution qui sait mettre le point final aux choses. Voilà résumé l’univers de ce petit livre comme on en trouve peu en ce moment.

 

Alfred Eibel.

L’Arbre Vengeur, 138 p., 9 €

 

 

 

 

 

 

 
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Publié par le février 19, 2014 dans Uncategorized

 

L’étrange itinéraire d’un dératé, de Bernard Leconte.

 Étrange itinéraire en zigzag d’un garçon qui n’est pas un aigle. Un père blagueur, une mère aux cuisines, un trio dans une campagne perdue. Lucien est bonne pâte, aime les joies simples. Maladroit, il est la risée de ses camarades. Naufragé permanent, agrippé à son rideau, pour se supporter, il prend la décision de faire du sport son catéchisme. De lui accorder la valeur d’un diplôme. Prédestiné aux emplois sans relief, l’audace n’étant pas son fort, il n’est pas pris au sérieux. Il ne ménage pas ses efforts pour rester jeune. L’alcool sera un recours pour ce malchanceux en amour. Aurait-il pu soupçonner que sa misérable odyssée finirait par mal tourner ? Lucien, zéro démultiplié, doit son charme à son créateur. Bernard Leconte pousse la langue française dans ses derniers retranchements. On est subjugué par son aisance.

 

Alfred Eibel.

L’Éditeur, 154 p.,14 €.

 

 

 

 

 

 

 
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Publié par le février 9, 2014 dans Uncategorized

 

Tout cela n’a rien à voir avec moi

Comment entendre cette dénégation ? Quel crédit lui accorder alors que tant d’indices matériels renforcent la thèse d’une mésaventure « vécue » ? Monica Sabolo voudrait-elle nous mener en bateau avec ce compte rendu prétendument objectif d’un naufrage sentimental annoncé d’entrée de jeu ? Ces questions, au fond, importent peu, et l’on aurait tort de chercher à démêler fiction et autofiction, dérision et autodérision. L’histoire, minuscule, se nourrit d’elle-même à partir d’une multitude de données éparses. Après avoir piqué à son amant si peu aimant des dizaines de petits briquets, Sabolo reconstitue fiévreusement les étapes de son fiasco en un habile patchwork de citations, images, objets-témoins, notations « scientifiques », messages, constats pince-sans-rire. Sa carte du tendre se compose en toute hâte, comme il convient à une histoire mille fois racontée. L’époque, impatiente, se prête  mal aux ruminations affectives et longs sanglots, elle demande une plume acide, de la concision, une allégresse mordante. Toutes choses que ce jeune auteur nous offre avec brio.

« Tout cela n’a rien à voir avec moi », de Monica Sabolo. J. C. Lattès, novembre 2013

O. E.

 

 
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Publié par le février 2, 2014 dans Uncategorized

 

Actualités

Un requin sous les arbres, de Bernard Leconte.

 

À Hazebrouk, en pleine campagne flamande, suite au meurtre de Paul Lefebvre, propriétaire terrien, envahissant cadavre s’il en fut, les langues se délient : calomnies, médisances compliquent l’enquête du capitaine Rossart de la SRJ de Lille. Sa devise : « Penser seul, agir seul ». Bernard Leconte nous offre un roman d’atmosphère aux trompeuses espérances. Au village, les voisins se barricadent dans leur silence, se présentent en personnages pittoresques, prennent la pose devant un capitaine qui voudrait trouver un saint à qui se vouer.

Alfred Eibel.

Ravet-Anceau Éditeur, 164 p., 9,50 €.

 

 

Le cow-boy du Bazar de l’Hôtel de Ville, de Patrice Delbourg.

 

Danger de la cinéphilie. Eugène Gibloz employé au Bazar de l’Hôtel de Ville, son travail terminé, se déguise en cow-boy, traverse Paris coiffé d’un Stetson, rêve d’un passé héroïque, confond bistrot et relais de chevaux, adopte la démarche des acteurs des années 50, se voit pillard au billard, intrus au café qu’il décrète saloon. Son mimétisme est sans limite.

On ne s’étonnera pas si Eugène Gibloz fait ami avec le combatif Roger Rudel, doubleur de Kirk Douglas « une rente viagère jusqu’à la fin des temps ». « Endonquichottés » l’un et l’autre, atteints par la « cinéphylis aiguë », ils rôdent dans Paris, se réfugient dans le premier estaminet venu en attendant James Stewart. Ils sont indomptables, comptent les points névralgiques de la capitale, déversent leurs exploits supposés, chimères inaccessibles. Ils se posent en défenseurs des opprimés, distribuent des tracts, consolent les indigents, veulent faire régner l’ordre, prient que chaque jour se transforme en film d’action, nostalgiques qu’ils sont d’un passé fini. Ils se voient en hommes des vallées perdues, armés d’une problématique Winchester 73. Le lecteur ébloui par tant de pétarades, de connaissances encyclopédiques, devant Patrice Delbourg, s’incline, chapeau bas.

Alfred Eibel.

Le Cherche-Midi Éditeur, 246 p., 17 €.

 

Courrier de Berlin, de Matthias Zschokke

 

Combien d’écrivains sont immensément doués ? Ne sont-ils pas des artisans de talent assez combinards pour faire accroire qu’ils sont des esprits supérieurs ? Comédien, dramaturge, cinéaste, écrivain, ces 800 pages de courriers électroniques adressées par Matthias Zschokke à un ami constituent un réservoir où puiser moult calamités, des voyages qui confortent les préjugés et le doute qui rend moins lisible la carte du monde. Quel que soit l’objectif, on se doit d’être clair. Dans une société de bavards pas un instant Zschokke ne s’attarde. Pas un instant à perdre. Le temps presse. Ne rien oublier. Il croit que la tristesse peut être grandiose, qu’un rien vaut mieux que deux tu l’auras. L’air se raréfie si l’on ambitionne de créer une œuvre. Le grand malheur est d’avoir cédé au « vertige de l’art ». Les problèmes auxquels on s’accroche sont souvent des fantômes. L’argent est au cœur de cette correspondance à une voix. Il en faut un peu, pas trop, pour écrire un livre dans une relative liberté. Zschokke est un écrivain sérieux, léger et vagabond qui ne tient pas à dire trop de bien des livres. Ne faudrait-il pas mesurer les éloges. Ce livre est une bizarrerie absolue mais drôle, ouvert, encaissant toutes les règles qui nous submergent aux affirmations les plus improbables. Les cartes à jouer détenues par tant de beloteurs ne sont-elles pas biseautées ? Comment s’y retrouver ? Il ne faut pas être « baba » devant la « technique » dès qu’il est question d’un film, par exemple, à croire que la technique domine le contenu. Matthias Zschokke résume ce qui l’anime au cours de ses déplacements pour faire ses lectures en public, à savoir que son « mépris envers notre cynisme occidental grandit, grandit, grandit » parce qu’il est rare qu’il croise quelque chose de bon, de vrai, de beau, quelque chose qui lui redonne courage ! Goethe aux gogues, féroce avec Thomas Mann, vive Robert Walser, Kafka, Pessoa et Handke. Le sort de Philip Roth est scellé. Comment la critique a-t-elle pu se laisser abuser depuis si longtemps ? Zschokke écrit : « Je pense aujourd’hui encore que l’art doit paraître superflu, qu’il doit être inutile, libre de tout calcul, il doit être pur luxe, il ne faut pas l’instrumentaliser ».

Alfred Eibel

Éditions Zoé, 860 p. 35 €.

Ross Mac Donald, grand méconnu de la Californie, est accessible en français dans une nouvelle traduction intégrale. Rival de Chandler, il le vaut à bien des égards. C’est un authentique écrivain, disait Paul Auster.

 

Ross Mac Donald place son lecteur entre un jeune homme meurtrier et la raison de son acte, le poids de sa culpabilité, de telle sorte que Lew Archer, son détective, amène le lecteur à raisonner à son tour.

Lew Archer « démystifie » les affaires dont il a la charge. Ses investigations amènent le lecteur à l’envie de mener l’enquête à sa place. Ross Mac Donald pose au départ la question : Comment dire vrai et l’exprimer avec art ? À le lire, plus aucun doute : c’est un maître.

Loin du privé dur à cuire, à la démarche chaloupante, se frayant un chemin à coups de poings, bombant le torse devant des bombes sexuelles blondes montées sur échasses, il ressemble à son créateur, dresse ses antennes, veut convaincre. Sa passion pour la justice, qu’il développe dans chacune de ses affaires, l’amène aux conclusions les plus audacieuses.

Ross Mac Donald est un écrivain hors norme qui s’intéresse au réalisme social de la Californie. À ce titre, il ressemble à Nathanaël West. Chargé en général de mettre de l’ordre dans une famille éclatée, il affronte des adolescents paumés, met à jour leurs motivations, enfouies au plus profond d’eux-mêmes.

Alfred Eibel

Ross Mac Donald : Noyade en eau douce, 279 p. 10 € – À chacun sa mort, 300 p. 10 € – Le sourire d’ivoire, 279 p. 10 € – Les trois ouvrages aux éditions Gallmeister.

 
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Publié par le février 1, 2014 dans Uncategorized