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Archives Mensuelles: avril 2011

Le dernier stade de la soif, de Frederick Exley

 Pour Exley la soif de vivre se confond avec la soif de boire. Il est difficile de vivre, dit-il, sans une bonne cuite. Il assume sa vie périphérique, n’en fait pas un fromage, ne confond pas réussite et sagesse. Hédoniste et fornicateur, sa vraie passion est le sport ; ne loupe aucun match des Giants aussi essentiel que le théâtre élisabéthain ou l’art de la Renaissance. A la recherche d’un emploi, cette bible de la désespérance positive, raconte l’odyssée d’un intellectuel qui frappe à toutes les portes équilibrant lecture et biture ; affirme qu’il n’y a aucune leçon à tirer de la vie parce qu’elle continue à suivre son petit bonhomme de chemin et que lui, Exley, trottine derrière. Il affiche un peu de lyrisme pour dire comment, pourquoi, à quelle heure, sous quels tropiques, sous quel climat, tout ce qu’il envisage échoue lamentablement. Ce n’est pas grave parce qu’Exley accouche d’une sorte de chef-d’oeuvre du perdant professionnel. Il note « J’ai toujours ressenti une excessive timidité qui me rendait muet ou me réduisait au genre d’éructations cyniques avec lesquelles les illettrés signifient leur incompréhension ». Cet homme est à ranger derrière Ring Lardner qui voyait le vide et l’absurde de la société ; derrière Charles Bukowsky, alcoolique provocateur et délicat poète.

Alfred Eibel

Editions Monsieur Toussaint Louverture, 444 p., 23,50 €.

 
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Publié par le avril 25, 2011 dans Uncategorized

 

Marie-Jeanne. Une vie française, d’Alain Paucard

« Aux yeux du souvenir que le monde est petit » écrivait Baudelaire. Monde étroit de la famille animé par ses petits conflits, monde enchanté et banal où nait et grandit Alain, monde des Paucard. Et pour qu’il puisse nous toucher, il se doit d’être simple, authentique, vrai. C’est la raison pour laquelle il nous rejoint. Il suffit d’une réflexion, par instants, pour que nous éprouvions dans l’immédiateté de la lecture ce petit frémissement qui fait que la vie d’autrui recoupe ici et là nos propres impressions d’enfance. On se sent alors comme irradié par une vie qui n’est pas la nôtre, par la magie de l’écrivain qui raconte sans chercher à analyser, en y allant franco pour faire revenir avec bonheur à la conscience, des contenus oubliés. Marie-Jeanne, la grand mère, représente l’axe autour duquel se construit Alain l’enfant en des circonstances chaque fois différentes au fur et à mesure qu’il grandit. Côté grands parents demeurent les éclats de la Grande Guerre ; côté parents, l’Occupation, ses craintes et ses contraintes, le marché noir, la joie d’être venu au monde au moment de la Libération sous l’oeil attentif de Marie-Jeanne. Une jeunesse somme toute ordinaire pour le fiston, cancre et cinéphile, sur les sentiers d’une gloire incertaine. Il y a dans ce livre infiniment d’émotion contenue, de retenue, ce qui n’empêche pas vers la fin de sentir cette émotion s’aviver.

Alfred Eibel

Alphée, 77 p., 10 €.

 
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Publié par le avril 25, 2011 dans Uncategorized

 

« Lachen mit Slezak » (souvenirs du chanteur Leo Slezak)

Gustav Mahler (1860-1911) (suite et fin)

Nous travaillions habituellement dans la bonne humeur quand mes collègues et moi-même nous trouvions sur scène lors d’un opéra dirigé par Gustav Mahler. Il n’empêche, notre inquiétude ne cessait de grandir. Nous craignions à chaque instant qu’un passage ne fut pas interprété comme le souhaitait le maître qui ne tolérait que la perfection.

Quand Mahler était satisfait il était méconnaissable : il venait alors vers nous, nous complimentait et pour nous récompenser distribuait à chacun des pièces de monnaie. Et c’est à ce moment là que j’en profitais pour lui extorquer si j’ose dire quelques jours de congé. Je mijotais longtemps la façon dont j’allais m’y prendre, avec quels mots choisis l’aborder, comment lui demander avec tous les ménagements possibles ces fameux congés. Je tournais autour du pot. Un congé pouvait se justifier du fait de quelques représentations pour lesquelles je m’étais engagé aussi bien à Brünn (1) qu’à Prague, ce qui dans mon esprit était un argument de poids. Mahler se mit alors à rire :

– Très bien, parfait, que Dieu soit avec vous. Attention cependant quand vous reviendrez, je vous le dis, vous allez rester tranquille un très long moment.
Je prêtais serment pour le rassurer au moment où il se mettait à bondir de façon syncopée pour rejoindre en hâte son orchestre et pour mettre fin à la répétition.

Je me souviens maintenant de mes premières rencontres avec Gustav Mahler. J’étais alors à Brünn mais déjà engagé à Berlin lorsque je reçus de la part de l’Opéra Royal de Vienne une invitation à participer à des répétitions. Particulièrement réjouis je me suis empressé de rejoindre Vienne. Participer à des essais de voix était quelque chose d’affreux. Si aujourd’hui on me demandait de faire ce genre d’essais, je suis persuadé que je serais immédiatement chassé pour absence de talent.

Les répétitions ont lieu la plupart du temps en groupe. Sont réunis environ quinze à vingt candidats considérés comme ayant de la voix, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes et cela en présence de la direction.

Chaque candidat était convié à monter sur scène et à montrer ce qu’il était capable de faire.

Dans un espace particulièrement sombre se tenait le directeur et son état-major composé de conseillers en musique.
Au-dessus d’eux se tenait le répétiteur, le pianiste de service accompagnant le chanteur.

Et en avant la musique. Le préposé à la régie annonce :

– Mademoiselle, le grand air s’il vous plait.

– O ! toi, très cher, je te salue à nouveau, je te salue avec allégresse…

– Je vous remercie mademoiselle. La suivante, s’il vous plait.

– Mademoiselle, le grand air, s’il vous plait.

– O toi, très cher, je te…

– Je vous remercie, à la suivante, la troisième, le grand air !

– O toi; très cher…

– Je vous remercie. Terminé !

C’est au tour des ténors.
On se racle la gorge.

L’un des ténors fait des inhalations et glisse un pinceau dans les narines. Un troisième fait des gargarismes et explique admiratif avec quel produit il se gargarise.

Un autre chanteur entonne : Salut ! O toi Henri, plein de grâce que Dieu t’assiste à tenir, à brandir le glaive…

– Je vous remercie. Au suivant.

Un baryton se mit à bêler. Il en allait ainsi jusqu’à ce que chacun ait pu donner de la voix, se distinguer dans le cercle restreint que constitue la noble confrérie des chanteurs. Les derniers candidats chantaient plus pour eux que pour le directeur et ses conseillers qui avaient d’ailleurs quitté l’auditorium depuis un bon moment. De plus, ils se croyaient obligés de chanter plus longtemps que leurs confrères. Le résultat de cette succession d’auditions fut la suivante. Un secrétaire avait préparé une centaine de lettres dont voici le contenu :
Cher Monsieur, Chère Madame,

Au cours de notre série d’auditions de candidats à devenir chanteur d’opéra professionnel, la direction des théâtres de la Cour Impériale, a pris connaissance de la qualité particulière de votre voix. Nous vous avons écouté chanter. Néanmoins, nous avons conclu que votre voix n’avait pas encore atteint la maturité nécessaire pour se produire à l’Opéra Impérial.

Cependant, la direction consciente de ses devoirs vous assure qu’elle ne vous oubliera pas.

C’est le résultat des répétitions que nous venons d’entendre.

Moi, Léo Slezak, j’ai été un jour chanteur amateur. Avec cette différence que j’ai été ce jour là le seul candidat à se produire devant le chef d’orchestre Hans Richter. Les grandes voix de l’époque faisaient partie du jury. Elles se tenaient en coulisse.

Et moi, originaire de Brünn, les jambes flageolantes sur scène, devant une telle autorité, à savoir le grand chef Hans Richter au pupitre.
Lohengrin : Salut ! O toi roi Henri…

A peine avais-je commencé à chanter qu’une voix puissante se fit entendre du fond de l’orchestre.

– Vous là, je vous fais remarquer, si vous continuez à chanter en trainant sur les notes, je ne manquerai pas de vous envoyer au diable !

C’était Gustav Mahler qui m’encourageait de si aimable façon. Du coup mes yeux s’embuèrent.

Comment je chantais, je n’en sais rien, tous se mit à tourner autour de moi.

Un peu plus tard je me trouvais dans le bureau de Mahler qui se montra d’une extrême gentillesse à mon égard, regrettant que je sois engagé à Berlin.

Je n’ai jamais reçu une lettre du type de celle que je viens de mentionner tout en ayant des sueurs froides. Rien qu’à penser qu’à la suite d’une telle audition je puisse recevoir une lettre de ce type me mettait en nage. Sur mon front perlait la sueur. Ce fut ma première rencontre avec Mahler.

Attachés que nous étions à l’opéra en tant que membre, il nous était interdit de donner par ailleurs des concerts. Sachant que toute loi est susceptible d’être contournée, je finis par trouver une porte de sortie.

Mon pianiste monsieur Oskar Dachs était devenu mon souffre douleur. Il m’accompagnait au courts de la préparation de mes concerts.
Sur les affiches on pouvait lire :

« Concert de Monsieur Oskar Dachs avec la participation de Leo Slezak ».

Le nom de Oskar Dachs figurait sur l’affiche en petits caractères alors que le mot concert et le nom de Leo Slezak figuraient en gros caractères.

Gustav Mahler me fit venir :

– Savez-vous ce que cela signifie ? Il s’agit de quelques chose d’équivoque qui signifie où est Dachs ?

La flûte enchantée. Je tenais le rôle de Tamino (2).

Dans la grande scène il y avait un passage que je sus bien interpréter. Chaque fois que je tentais d’interpréter convenablement ce passage, je me plantais.

Mahler se fâchait à chaque fois considérant cela comme une malédiction.

Arrivant à ce passage, je ratais mon coup, trop nerveux sans doute, bref, tout allait de travers.

Alors, lors d’une fameuse soirée, arrivé au passage litigieux, je me rendis compte qu’en coulisse on commençait à s’agiter. Les pompiers commençaient à aller et venir et une danseuse fit une grimace sur scène, une de ces grimaces peu plaisantes.

Le décor. Le char de nuages qui voyageait dans les airs accompagné de trois enfants a soudain pris feu à la suite d’un court-circuit qui embrasa l’installation électrique.

Je me dis immédiatement : surtout pas de panique !

Je poursuivis mon chant, je m’y cramponnais désespérément jusqu’à la fin de la scène.

Soudain dans le public quelqu’un se mit à hurler : au feu !!!

En moins de temps pour en réaliser les dégâts, le public se précipita comme des désespérés, sa bousculant les uns les autres, les uns marchant sur les autres pour rejoindre la sortie.

Je crie de toutes mes forces : restez assis !!!

Instantanément tout rentra dans l’ordre.

Même Gustav Mahler se retourna et d’un ton ferme ordonna : assis !! puis se retourna et continua à diriger.

Le public commençait à se calmer, le danger était passé.
Plus tard Mahler me dit :

– Juste au moment où Slezak chante juste voilà que le théâtre prend feu !

Les maîtres chanteurs. Acte I

Mahler est dans sa loge. Franz Schalk (3) est au pupitre.

J’allais entamer ce fameux passage qui a toujours conquis le public et je cale.

Max Blau le souffleur qui dépanna plus d’un chanteur se mit à se moucher bruyamment.

Je chuchote :

– Au secours Samiel !

Il s’appelle en réalité Samiel parce qu’il est juif.

En vain. Je tremble. Les secondes passent. Je traverse une épreuve. Mon air conquérant se bloque.

Enfin, je trouve grâce à mes cordes vocales jusque là comme paralysées. Je pousse ma voix à son maximum. Je retrouve le fil de la partition et je termine ma partie en beauté.

Mahler se précipite en grandes enjambées sur scène et crie !

– Qu’est-ce qui vous arrive ?

Irrité je crie à mon tour aussi fort que lui :

– Pourquoi ?

Mahler :

– Êtes-vous malade ?
Moi :

– Non !

– Je pensais que vous étiez dans l’incapacité de terminer votre partie !

Moi :

– Ah non !

Mahler eut un mouvement de surprise. Il me regarda ébahi, je dirais même plus, pétrifié. Et comme je lui répondais sur le même ton énervé que lui, il se tourna alors vers le professeur Wondra et constata avec le plus grand sérieux :

– Slezak est devenu fou !

Quelques jours plus tard je le rencontre. J’étais accompagné de mon fils qui avait trois ans. Nous étions alors au Stadtpark. Quand je vois arriver Mahler je lâche la main de mon fils et je le salue.

Mon fils vêtu d’un manteau blanc trébuche dans la poussière.

– Ne nous énervons pas me dit Mahler. Tomber n’est pas digne d’un Slezak. Il embrassa mon fils et ajouta :

– D’aucune façon.

Quelques années plus tard je rencontre à nouveau Mahler. A New-York cette fois.

C’était un homme fatiguz, un homme malade.
J’interprétais alors La dame de pique, une première au Metropolitan Opera.

Je répétais seul en présence de Mahler. Les autres chanteurs n’étaient pas là.

Mahler réussissait rarement à répéter avec l’ensemble des musiciens et des chanteurs.

Il s’assit devant moi, résigné semble-t-il. Il était devenu quelqu’un d’autre.
Je m’appliquai à faire surgir en lui la flamme d’autrefois. Il s’était adouci, il était devenu indulgent et triste. Il me pria de lui rendre visite le plus souvent possible à L’Hôtel Savoy. Je croyais qu’il disait cela par courtoisie. Du coup, pris par la timidité, je craignais de le déranger.

Cependant, je décidai un jour de frapper à sa porte. Il me fait comprendre qu’il lui est impossible de me recevoir. Il avait une angine, disait-il, et devait rester au lit.

Plusieurs semaines se sont écoulées avant que je le rencontre à nouveau au Central Park.

Il était méconnaissable.

Longue conversation. Ce fut la dernière.

Il pris congé de moi semblable à une ombre qui se retire.

J’avais le cœur serré.

En mai, revenu d’Amérique, je lui rendis visite au sanatorium de Vienne.
C’était trop tard. Je ne pouvais plus le voir. Il était mort dans la nuit.

Je lui ai demandé pardon. J’ai sans doute été injuste à son égard. Aujourd’hui, me souvenant de lui, ce qui demeure en moi de notre travail en commun, je ne peux que lui exprimer mon immense gratitude.

Mon incommensurable gratitude devrais-je dire.

(traduit de l’allemand par Alfred Eibel)

(1) Brno en tchèque. Brünn en allemand. Ville située en Moravie.

(2) A propos de la Tosca de Puccini. Après la première guerre mondiale c’est le rondouillard (mais néanmoins éclatant) Leo Slezak qui (à Vienne) devant jouer Rodolphe, suscita cette image meurtrière : « Un éléphant courtisant une souris… » (in Giacomo Puccini, de Marcel Marnat, Plon, 2005).

(3) En octobre 1923 Franz Schalk dirigea entre autres à  Vienne Gianni Schicchi de Pucchini avec la grande Maria Jeritza. En 1923 Frank Schalk initie un Festival Puccini en dirigeant Manon Lescaut avec Lotte Lehmann dans le rôle principal. Il dirigea Turandot le 14 octobre 1926 à Vienne avec Maria Nemeth et Jan Kiepura.

Témoignage tiré de Mes œuvres complètes de Leo Slezak.

Si un éditeur est interessé par Leo Slezak Lachen mit Slezak (Rire avec Slezak), qu’il se manifeste. Le livre publié chez Rohwohlt en 1986 comprend : Mes œuvres complètes, Mes manquements, Mes rechutes.

 
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Publié par le avril 15, 2011 dans Uncategorized

 

Le voyage du poète à Paris, de Serge Safran

A l’époque où Keith Jarrett faisait pétrir, piler, les standards américains, Philippe, poète dans l’âme, quittait l’Ariège, sa copine Sandra, pour la capitale. Il n’est de bon poète qu’à Paris. La rupture avec son passé l’engage dans l’incertitude du lendemain, la solitude, l’angoisse, un ensemble de malaises qu’il va devoir affronter. Il prend appui sur la littérature, sur les petites nécessités du jour ; il craint de perdre l’éclat de sa jeunesse, la fraicheur de Sandra. Il entame une correspondance passionnée avec sa jeune écolière qui lui répond en amoureuse. Ecrit dans une langue épurée le livre de Serge Safran est à placer sur le rayon à côté de Point de lendemain de Vivant Denon. Avec en supplément l’attente, l’oubli, les hésitations, les interrogations successives, la mélancolie qui l’étreint, Philippe se découvre le fils d’Amiel et de Constant, ces écrivains que Drieu appelait les « explorateurs de la marge ». Ecrire, attendre à Paris que la plénitude d’une vocation se réalise ; qu’elle soit nourrie par un amour indéfectible. C’est le rêve de Philippe qui a besoin de tendresse pour oublier ses scrupules, sa fébrilité, craignant que l’affection que lui porte Sandra ne faiblisse. Si plaisir d’amour ne dure qu’un instant, ce récit nous fait endosser une seconde jeunesse.

Alfred Eibel

Editions Léo Scheer, 162 p., 17 €.

 

 
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Publié par le avril 9, 2011 dans Uncategorized