Exposition des peintures de Sergio Schmidt-Iglesias « Un oiseau revient … ou les cités de l’âme ». Du samedi 20 mai au samedi 1er juillet 2017 Au Tanit Théâtre, 11 rue d’Orival – 14100 – Lisieux Vernissage le samedi 20 mai 2017 Du lundi au vendredi de 10 h à 18 h Sur rendez-vous le samedi Tél : 02 31 62 66 08 http://www.tanit-theatre.com
Archives Mensuelles: avril 2017
Marc Villard, Si tu vois ta mère.
Le jazz adoucit-il les mœurs ? Mais non, il rôde, il divise, choque, lisez affrontement entre blancs et noirs, s’insinue par des voies obliques, manifeste auprès de ceux qui « se bouffent le nez régulièrement ». Ces gars ont des jobs d’appoint, abonnés à une vie bien pourrie qui au final se font descendre. Dans Harlem, la mort est un incident parmi d’autres sur une musique de Miles Davis. Avec Marc Villard on est tout de suite au parfum. On s’y agonise, on s’y angoisse, on se sent instable dans ces territoires d’Amérique jetés hors des grandes villes. On y grandit en permanence sur ses gardes, sous pression nuit et jour, sur un air monkien, une furie coltranienne, ou encore Chet Baker qui expulse l’air entré dans sa poitrine. Fin connaisseur du jazz, Marc Villard insère au bon moment une prestation de Gerry Mulligan, met en valeur quelques standards. On y croise Charles Bukowski qui, dans une langue digne de l’Hôtel de Rambouillet, racle des fonds de bouteilles, précipite des personnages dérangés par une vive passion. La fin de Billie Holiday est une des meilleures nouvelles de ce recueil. Lady Day quitte la vie sans tambour ni trompette, sans pompe, avec simplicité. Elle ne se paie pas de mots pour ne pas déranger. Seize nouvelles dignes de la grande époque du film noir américain et des meilleures pages de Frank Kane (1912-1968).
Alfred Eibel.
Éditions Cohen et Cohen, 178 p.15 €.
Didier Le Fur, Diane de Poitiers
On sait que l’Histoire n’est pas une science exacte. Elle manque de voix. Historiens et romanciers s’en sont donnés à cœur joie pour faire de Diane de Poitiers (1500-1566) un mythe, qui participe de la fable, de l’histoire héroïque ou des temps fabuleux. Clément Marot (1496-1544) en a rajouté une couche dans l’exaltation. La liste de ses thuriféraires établie par Didier Le Fur est impressionnante. Alors, qui était-elle réellement ? On sait qu’elle a été la maîtresse de François Ier et de son fils Henri II. Ne dit-on pas que c’est une femme de tête avide de pouvoir et d’argent ? Si elle avait été si avide, pourquoi ne l’a-t-on pas remarquée davantage ? Pourquoi ne la voit-on que lorsque la Cour l’exige, pour ensuite disparaître ? « Ce n’est qu’une ombre floue qu’il faut chercher derrière d’autres silhouettes ». Les esprits mal tournés pourraient faire croire qu’elle passait son temps au lit avec des hommes. Séduits par ce tempérament, certains auteurs ont accrédité que sa beauté eût été éclatante. « Toujours belle, toujours fraîche, toujours d’une santé éclatante, Diane de Poitiers avait alors soixante ans ». Le désir rend aveugle ; il faut en rabattre, encore faudrait-il posséder l’esprit d’un grand couturier du XVIe siècle pour se prononcer sur l’éventuelle splendeur de cette femme. Au fil des pages on sent Didier Le Fur tanguer entre le peu de documents disponibles, ce qu’il appelle des « trous noirs » et une réputation. Malgré l’absence de témoignages de première main, il eût été possible qu’elle fût une bête de sexe. Pour conclure Didier Le Fur constate que « le secret de la vie amoureuse de Diane de Poitiers fut bien gardé, autant par les principaux intéressés que par ceux qui étaient susceptibles de la connaître ». Livre passionnant, belle écriture qui laisse quelques lecteurs sur le sable. Pourtant, « la vérité existe, on n’invente que le mensonge » écrivait Georges Bernanos. Cela dit, il n’est pas interdit de rêver.
Alfred Eibel.
Perrin, 381 p. 21 €.
Anton Tchekhov, Vivre de mes rêves, Lettres d’une vie
Pour se désencombrer l’esprit, recommandons cette correspondance de par son naturel, sa simplicité, sa spontanéité, par l’expression de ce que le cœur de cet homme tente d’exprimer. Quel que soit le destinataire, Anton Tchekhov (1860-1904) fait preuve d’humilité, de gaieté, pressé qu’il est comme s’il pressentait que ses jours étaient comptés. S’il livre ici et là ses petits secrets c’est pour refouler au fond de la mémoire sa lassitude, une monotonie qu’il exprime de la façon suivante : « La vie est si vide qu’on ne sent que les piqûres de mouches ». Ses pensées virevoltent, ont du mal à se fixer. Tchekhov ne cesse de voyager, parfois sans obligation, de temps à autre pour récupérer quelques roubles, lui souvent à court d’argent. L’honnêteté de ce médecin est incomparable, sa sobriété dans la vie et dans son écriture font dire à Nicolas Bouvier (1929-1998) que « c’est la créature la plus pacifiée que j’aie rencontrée ». Les personnages des nouvelles de Tchekhov et de son théâtre possèdent ce mérite ou cette vertu de persister dans une tranquillité mêlée de douceur quoique les apparences soient parfois trompeuses. Tant de correspondances semblent fabriquées, destinées à la postérité, que celle d’Anton Tchekhov n’a d’autre but que de réjouir ses différents correspondants. Au départ ses pièces ont connu des échecs. Il ne semble pas en être affecté. Il se voit « aussi solitaire qu’une comète », s’interroge sur la littérature qui, au bout du compte, n’est peut-être qu’un aimable passe-temps. On se dit que l’œuvre de Tchekhov a été dictée par on ne sait quelle voix au-dessus de la vie. Après plus d’un siècle, cet écrivain reste probablement un des plus vivants.
Alfred Eibel.
Laffont « Bouquins », 1120 p. 32 €.
Michel Marmin, La République n’a pas besoin de savants. Entretiens avec Ludovic Maubreuil.
Une longue marche. Le goût de la transgression culturelle. Cela fait un demi-siècle que je connais Michel Marmin. Un homme d’une rare droiture, d’une équité exemplaire, un ami fidèle avec qui je partage les goûts, le cinéma, la littérature, la musique classique, le jazz. Son enthousiasme n’a pas de limite dès lors qu’il s’agit de défendre un film, un livre, un tableau. Lisant Michel, je me rends compte combien les années dites glorieuses le furent, dans l’inventivité, la création, le rêve dans un désordre volcanique. Cette époque s’est effacée sans crier gare. En tant que critique de cinéma, Michel s’est imposé bravant ceux qui voulaient le maintenir dans une ligne conformiste. Il a su attirer notre attention sur des réalisateurs comme Joël Séria, Jean Marbœuf, Gérard Blain, Jacques Rozier, Jean Eustache et quelques autres. Une curiosité sans limite aussi pour des domaines qu’on n’imagine pas relève la richesse de ce livre, qui s’inscrit dans une époque sans jamais tomber dans les regrets éternels trempés de larmes. Il note : « J’ai toujours eu une sympathie spontanée pour les réprouvés ». On s’apercevra à quel point ce livre sort des sentiers battus. Sans doute a-t-il révisé son jugement sur certains films. Sans doute a-t-il eu des emballements qu’il déplore aujourd’hui. Au cinéma, il se garde d’oublier l’érotisme dont l’attrait tient aussi mais pas seulement aux ravissantes créatures aujourd’hui hélas oubliées et introuvables. Il constate que la France populaire n’est plus ce qu’elle était (il suffit de lire les livres de Claude Néron). Contre, il l’est, à la séparation des genres, tous liés, articulés, renforcés. S’il faut souligner son art d’écrire, il ne faut pas oublier que Michel Marmin est aussi poète, ce qui m’amène à le rapprocher curieusement du poète chinois Li He (790- 816).
Alfred Eibel.
Pierre-Guillaume de Roux éditeur, 280 p. 20,90 €.