Anne-Marie Schwarzenbach (1908 – 1942), avec Ella Maillart (1903 – 1997), est la voyageuse la plus affranchie de toute aliénation intellectuelle. Elle abandonne l’Europe, embarque pour le Congo devenu le cœur de la France libre, accepte ce qui est inéluctable malgré l’humidité d’un climat éprouvant et note dans son journal intime le moindre fait, le moindre événement d’une traversée qui apparait sans fin, malgré les nombreuses escales, la douceur et la douleur dans toute leur ampleur, le plus petit événement, le plus léger frémissement. Les journées se ressemblent, la solitude est là avec ses joies et ses douleurs, et le danger qui est comme une ombre qui avance. Une nouvelle forme de vie s’installe avec d’autres horaires, avec des rapports humains auxquels elle ne s’attend pas, avec un nouveau brassage de peuples, et tandis que le bateau progresse, elle se demande si tirer des plans sur la comète a encore un sens. Elle se sent expulsée de ses habitudes sous un ciel pesant ; regarder passer des ruines, subir des vents forts. À bord, parfois des intrigues, des querelles et des individus aux désirs futiles, et la forêt équatoriale qui ronge le monde et le tourmente. Et puis c’est aussi l’exactitude du regard d’Anne-Marie Schwarzenbach, son impulsion à dire et à raconter les choses les plus ordinaires, la simplicité de son écriture, sa patience mise à rude épreuve, ses pensées sans cesse tournées vers le continent qu’elle a été obligée de quitter et sur lequel s’est installé un combat des plus inquiétant.
Alfred Eibel
Éditions Zoé, 224 p. 30 €.