Robert Giraud (1921-1997) a passé une partie de sa vie au bistrot. Mémorialiste des troquets, l’acuité de son regard cerne ces réfugiés fuyant un monde convenu s’installer dans un débit de boisson. Il y a le comptoir, le patron, les tables, les tapis à cartes. C’est ici que ce clergé se réunit. Le bistrot est un confessionnal. Un gars fait jouer ses biscotos, un second tire des plans sur une improbable comète, un troisième, un peu vantard, veut en boucher un coin à un quatrième qui s’exhibe, figurant nécessaire comme au cinéma un second couteau. Au bistrot, le naturel revient au galop à coups de godets. Il faut savoir « tenir la voile ». C’est un exploit lorsque seul on a éclusé une fillette de rouge. Robert Giraud présente quelques phénomènes : La Douleur, Pierrot la Tenaille, le Grand René, Roger-Perd-Son-Froc, disponibles pour le coup de l’étrier. Pipe ou cigarette au bec, chapeau, béret ou casquette sur le crâne, tous prêts à interpréter les gaîtés de l’escadron ; tous prêts à donner des cours du soir à ceux que démange la pince monseigneur. Giraud définit ces réunions du gosier comme « l’enluminure de la monotone petite vie quotidienne ». Quand un casse est à l’étude, les gars se rassemblent genre « pêcheurs à la ligne pépères » pour pirater une villa avant de s’évanouir dans la nature. Bistrot boîte magique à paroles. Les habitués s’y donnent en spectacle, attendent qu’on les applaudisse. Ce public du bocage, Giraud sait les calmer par une écriture apaisée, mesure la dimension des lieux peuplés de hâbleurs, de tronches et de valeureux compagnons.
P.S. Remarquable préface d’Olivier Bailly.
Alfred Eibel
Le Dilettante, 174 p. 18 €.