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Archives Mensuelles: mars 2016

Allons z’enfants, d’Yves Gibeau

Si vous aimez Henri Calet et Raymond Guérin, vous aimerez Yves Gibeau (1916 – 1994), un classique dans sa catégorie, un livre qui fait marrer avec enthousiasme. L’auteur assassine la guerre, ses militaires, évadés dirait-on de chez Courteline mais teigneux à souhait. Des militaires qui, par leurs conneries, freinent la moindre velléité de liberté. Yves Gibeau réfractaire impénitent, propose au lecteur des personnages que la sinistrose n’a pas épargnés. Publié pour la première fois chez Calmann-Lévy en 1952, Allons z’enfants, petit chef-d’œuvre, ouvre grand les portes de la bêtise en uniforme. On se congratule, on s’emploie à prendre la poudre d’escampette. Les personnages affrontent les obstacles avec détermination, à la recherche d’une franchise pleine et entière car la franchise est un combat contre la niaiserie. Le ton familier du roman prend du relief, souligne ses nombreux escarpements où les manières libres et inconvenantes permettent de remettre à leur place les gars un peu trop sûrs d’eux. En fin de journée, lorsque le troufion retrouve sa chambre, son lit d’enfant, ce n’est « point pour dormir ou goûter la douceur de draps blancs et souples, que pour rêver tout son saoul, solitaire, à des joies nouvelles, merveilleuses, étrangement exaltantes… ». Yves Gibeau possède un uppercut qui va droit à l’estomac. Avec sa phraséologie particulière, sa manière de dresser ses personnages, de les traquer, il les oblige à sortir ce qu’ils ont dans le ventre. La mise en boîte étant de rigueur.

 

Alfred Eibel.

Le Dilettante, 446 p. 23 €.

Parution le 13 avril 2016.

 
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Publié par le mars 27, 2016 dans Uncategorized

 

Dernières feuilles, de Vassili Rozanov

Il faut en convenir, il n’est pas aisé de saisir du premier coup la pensée de l’écrivain russe Vassili Rozanov (1856 – 1919) qui glisse facilement vers la polémique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ses opinions sont contraires aux opinions communes. Tout l’oppose aux règles fixes, aux habitudes, à la bien-pensance, aux préliminaires de tout acabit, aux extrêmes, parce que la vie n’est qu’une succession de moments. Rozanov ne recule pas lorsqu’il s’exprime avec excès. Pourquoi ? Parce que l’excès n’est rien d’autre qu’un obstacle franchi vers l’évidence. Parce que d’un rêve égaré surgit inévitablement un fond de vérité. Enfin, pour justifier ses mouvements oscillatoires, Rozanov élève à une forme de dignité le renoncement à toutes les manières de penser afin d’être toujours près des hommes. On ne peut, affirme-t-il, saisir avec intelligence sans avoir au préalable saisi avec le cœur. Il illustre cette action de façon imagée en déclarant que « la seule attitude juste vis-à-vis de la fleur est de respirer son odeur ». Ajoutons que notre philosophe est persuadé que c’est dans le banal que se nichent les grands commencements. Ce livre si riche, si renversant, il faudrait des pages entières non pour resserrer la tournure d’esprit de l’auteur, mais pour déployer ses points de vue. Par exemple, ceux de la veille, qu’il abandonne le lendemain. Il y a dans la parodie qu’il manie avec doigté des choses profondément vraies qui mettent à niveau des représentations que seul le sens de la vue peut recueillir. Parmi les nombreuses questions posées par ce livre, il y a celle-ci : faut-il céder pour se sentir vivre ? Faut-il du lyrisme, de l’émotion ; être acteur d’un système qui fait du plaisir le but de la vie, pour être pris au sérieux ? La vie est faite d’indicateurs et de chutes de tension. Tout individu crée ses propres bornes. À lui de les outrepasser.

Alfred Eibel.

Éditions des Syrtes, 411 p. 26 €.

 
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Publié par le mars 27, 2016 dans Uncategorized

 

Une vie en liberté, de Michel Mourlet

Cette vie se présente comme une merveilleuse machine à remonter le temps, jusqu’aux Trente Glorieuses, vantées ou décriées, mais glorieusement quand même ; et qui, par une créativité exceptionnelle, ont durablement marqué une époque, dans les domaines artistiques les plus divers, littérature, cinéma, théâtre, peinture, musique, édition, interprètes en tous genres, sans parler de personnages étranges et inattendus, non pas les Nuits chaudes du Cap français de Hugues Rebell, mais nuits chaudes de semblable manière. L’inventivité était au rendez-vous, avec force, détermination, loin des années fric où la création artistique, parfois pot-de-chambresque, devait illico presto inonder « l’artiste » de pognon. Il y avait dans tout ce qui se faisait à « la belle époque » un désintéressement aujourd’hui inconcevable. Ce livre pourrait aussi s’intituler : Michel Mourlet ou le parti pris des belles choses. Toutes les célébrités d’alors sont au rendez-vous ; toutes étaient d’un abord aisé, attentives dans leur simplicité. Devant toutes, Michel manifeste son intérêt, motive son jugement, avec une équité qu’il faut saluer face à tant d’agitation crispée et défensive qui paralyse le bon sens du citoyen aujourd’hui. Passant en revue ses nombreuses rencontres, quittant ces années inventives en diable, notre bel écrivain livre un message auquel nous devons être sensibles. Il note : « J’ai toujours eu du goût pour des gens à facettes multiples ; à tort ou à raison ils me paraissent plus clairvoyants, puisqu’ils épousent mieux la complexité du réel que les monolithes, « de gauche », « de droite », « cathos », « marxistes », etc.» Au moins c’est clair.

Alfred Eibel.

Éditions Séguier, 449 p. 22 €.

 
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Publié par le mars 17, 2016 dans Uncategorized

 

Entretien avec Valère Staraselski de Vincent Ferrier

Pour ceux qui ne le connaissent pas, ou mal, cet entretien révèle un écrivain des plus intéressants, porteur de plus de trente livres qui ressortent « d’une tension entre mon existence et celle des autres parce que le réel, c’est d’abord les autres » accordée à un ensemble de penchants bienveillants.

« Rejeton spirituel d’Aragon », « infatigable arpenteur de Paris », ce qui le rapproche d’Henri Calet, Valère Staraselski cite cette phrase de Stefan Zweig qui va dans le sens de son travail : « l’enthousiasme d’abord, ensuite l’application laborieuse ».

On ne peut pas en dire autant de ces écrivains appliqués, capables de bien écrire, bien sûr, sans qu’on décèle chez eux un mouvement très rapide d’oscillation. Notre écrivain se situe à un autre niveau. Il suffit de lire Une histoire française pour s’en convaincre. Sa passion d’écrire supplée à toute autre considération dite littéraire. Il y a bien longtemps Jiddu Krishnamurti (1895-1986), dans un livre intitulé La première et la dernière liberté, préfacé par Aldous Huxley, recommandait de suivre son propre chemin, refusant toute forme d’autorité, parce que « la vérité est un pays sans chemins ». Cette liberté, on la retrouve également dans les réponses de Staraselski au Questionnaire Marcel Proust où Maïakovski voisine avec Jaccotet, Tess d’Uberville avec Heathcliff, le héros du roman d’Emily Brontë, Les hauts de Hurlevent. Nous le savons, la liberté se paie : « servir plutôt que de faire carrière », déclare Staraselski. Cette paix gagnée permet de construire une œuvre qui ne doit rien à personne.

Alfred Eibel.

Éditions de l’Ours Blanc, 131 p. 12 €.

 
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Publié par le mars 17, 2016 dans Uncategorized

 

Flore et bestiaire imaginaires de Daniel Habrekorn

René Étiemble, grand dégustateur de la langue française, ennemi irréconciliable du franglais, trouve ses desserts dans des ouvrages auxquels on ne songe guère. Réaumur, qui s’est intéressé à l’étude des invertébrés, Louis de Broglie qui a toujours uni la précision et l’élégance de la forme dans ses écrits ou encore Claude Bernard dans ses Cahiers de notes (1850-1860). Que n’aurait-il dit devant le livre de Daniel Habrekorn : un régal, une source rafraichissante, des fantassins de mots, des tournures inattendues, des échafaudages aux formes irrégulières mais plaisantes. Ce qui nous épate, c’est la richesse du vocabulaire, imaginaire et intact, la phonétique française poussée à son plus haut degré créant chez le lecteur une violente excitation. L’humour y trouve son compte. Si on peut avec un peu d’imagination imaginer la bête, il ne faudrait pas omettre la bête immonde, ni le cheval lorsqu’il est à bascule, ni le lapin chasseur, moins encore cette grande variété d’oiseaux qui à force d’énumération devient une insulte. La flore s’entrelace aux motifs inattendus, la capacité des animaux à se travestir, par exemple, la vache qui soudain rit ou le homard thermidor à savourer le onzième mois de l’année républicaine. Invitons ici le coucou à la recherche d’un domicile fixe, ou le malheureux éléphant égaré dans un magasin de porcelaine. Et pour finir, admirons Marcel Aymé qui a eu l’audace d’imaginer une jument verte. À force d’observer, on finit par dessiner les contours de ce qui ne se laisse pas définir et on lui colle une étiquette pour créer la surprise. Le moment est venu de dire de quelqu’un qu’il a de la branche. On ne saurait dire autrement de Daniel Habrekorn qui sait nous ravir avec éclat.

 
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Publié par le mars 14, 2016 dans Uncategorized

 

Un été sans fin, de Serge Koster

L’auteur atteint de la maladie de Parkinson passe en revue sa vie comme on passe en revue des troupes que l’on fait ranger pour les examiner avant le combat final. Serge Koster éprouve des sensations, conçoit ce qu’elles éveillent. Les mots le sauvent. Il les guette, les fait siens, partout où le marbre les porte. Il s’observe, compte ce qui dans sa vie participe de l’accidentel, s’accommode mal de l’imprévisible parce que sa lucidité l’oblige à écarter ce qui crée des obligations. Il repasse les relations avec son père. La procréation le tourmente. Ce qui est inévitable a l’avantage d’être un bon garde-fou. Plus on avance dans cette forme d’introspection sans fin au style soutenu, plus on colle à l’auteur, plus on est saisi par l’esprit qui le tourmente. La plus inattendue de ses étapes, la plus décisive, qui semble-t-il le bloque, le crispe, le rend réfractaire, c’est sa judéité. Il prend conscience qu’il est impossible de jeter le bébé avec l’eau du bain. Ce qui empoisonne sa vie, c’est la langue française défigurée. Il ne se fait guère d’illusions sur son avenir ; et, c’est parce qu’il ne s’en fait plus que, libéré d’une charge, il laisse courir sa plume avec respect, ses trésors, ses imparfaits du subjonctif, les chatoiements de la langue française, ce qui lui permet, ayant une œuvre importante derrière lui, d’oublier une bonne fois cette idée bien audacieuse de passer à la postérité dans un avenir improbable.

 

Alfred Eibel.

Pierre-Guillaume de Roux éditeur,

107 p. 19,90 €.

 
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Publié par le mars 13, 2016 dans Uncategorized