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Archives Mensuelles: février 2011

Une famille et une fortune, d’Ivy Compton-Burnett

« Nous avons tous nos petites idiosyncrasies » constate un membre de cette famille particulièrement volubile. Ivy Compton-Burnett (1884-1969) est l’auteur d’une vingtaine de romans dont l’action se situe presque toujours entre 1885 et 1901 ou implicitement à l’époque edwardienne. Dans une vaste demeure vivent deux frères, la femme de l’un d’eux, ses quatre enfants. Ils accueillent, charité chrétienne oblige, une tante désargentée, estropiée et acariâtre. Constitué uniquement de dialogues ce roman ne dit rien ni sur le cadre ni sur les circonstances, laissant les personnages s’exprimer eux-mêmes. Ils ratiocinent, ont des sourires entendus, possèdent une inappétence intellectuelle à faire frémir, participent au jeu à qui paraîtra le plus idiot. Au demeurant envieux, dissimulés, misérables, vachards, caustiques à l’occasion. « J’ai énormément de respect pour son manque de curiosité, c’est une chose que je ne pourrais jamais acquérir »observe un membre de la famille parlant d’un parent proche. Conflits de générations, goût immodéré de l’argent, tartufferies multiples, impassible mais bourrés de reproches, cette famille se déchire à belles dents masquant sa mesquinerie sous des dehors d’un savoir-vivre éprouvé, manipulant un humour où l’aigreur se taille la part du lion, hâbleur pour peu qu’on s’apprête à confondre l’un des membres de cette charmante communauté en accentuant leurs petites tares physiologiques. Tous les ingrédients se trouvent réunis chez Ivy Compton-Burnett pour enchanter le lecteur à l’esprit mal tourné.

Alfred Eibel

Libretto, 348 p., 1

 
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Publié par le février 27, 2011 dans Polar, Uncategorized

 

« Les leçons du mal », de Thomas H. Cook

En 1954 les mouvements des droits civiques dans le sud des Etats-Unis ne s’étaient pas encore mis en marche. La ville de Lakeland restait imprégnée par la guerre de Sécession. La société était divisée. D’un côté les privilégiés ; en bas de l’échelle sociale, les Noirs. Jack Branch issu d’une famille aristocratique enseigne au lycée. Le thème de son cours : le Mal. Ses références : l’Inquisition, le naufrage de la Méduse, la ville de Minsk siège de violents combats en 1941 et 1943. Un événement va défrayer la chronique locale. Jack, sans hésiter, par associations d’idées, fait référence à l’histoire de l’infamie. Parmi ses élèves Eddie, perturbé par son père assassin d’une jeune fille. Les bonnes intentions de Jack vont tourner au cauchemar. Thomas H. Cook nous fait dériver dans une ténébreuse affaire que la police méfiante complique par ses agissements inquisiteurs. Le père de Jack tient un journal intime dont le contenu ne doit pas être révélé. Nous sommes au coeur de la littérature et le Mal cher à Georges Bataille. Une jeune fille disparaît, une mystérieuse fourgonnette égare les soupçons. Le comportement de quelques habitants brouillent les pistes de ceux qui souhaitent y voir plus clair avant que ne survienne le désastre, c’est-à-dire la justification d’un crime pour le moins crapuleux parce que les préjugés ont la vie dure. Un climat de méfiance s’installe dans ce roman qui rappelle par intervalles la série télé de David Lynch Twin Peaks. Admirablement construit ce livre étend ses tentacules pour mieux broyer ses proies.

Alfred Eibel

Seuil, 356 p., 21,50 €.

 

 
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Publié par le février 27, 2011 dans Polar

 

Strindberg et sa Correspondance

Evoquer Auguste Strindberg (1849-1912) c’est à la fois évoquer un grand écrivain et un grand névrosé. Il réunit dans son oeuvre les traits forts de son caractère changeant. Il est son propre médecin qui se penche sur les troubles pathologiques qui l’animent. Il appartient aux grands caméléons de la littérature mondiale. Ses personnages se cherchent dans les métamorphoses et le dédoublement d’une personnalité passionnée mais instable. Klaus Mann (1906-1949) écrit à son sujet : « son tragique dégénère parfois en un besoin obsessionnel d’avoir le dernier mot, sa plainte se mue en criailleries perçantes ». Son oeuvre comme sa correspondance, six mille lettres environ, reflète une quête, la recherche d’un secret. Il a dès ses débuts en littérature considéré sa correspondance, comme faisant partie intégrante de son oeuvre, ce qui explique qu’il conserva un double de chacune d’elles, d’une expressivité étonnante, on entend la vois de Strindberg. Il est passé maître dans la création d’une atmosphère autour de ses personnages, constatait Franz Kafka. Strindberg est misogyne ; un misogyne qui ne peut se passer des femmes. Marié trois fois il subit trois échecs. C’est un séducteur inattendu, un père dévoué flanqué de trois enfants, un homme empressé. Ses lettres prouvent la difficulté qu’ont les êtres à communiquer entre eux. Il écrit énormément. Il se plaint, fulmine, exige, félicite. Il lui arrive de se brouiller avec un correspondant car il ne supporte pas la critique. Susceptible, ombrageux, condescendant, gueulard, hystérique, il instaure dans sa correspondance un dialogue de sourds ce qui complique ses rapports avec ses confrères ; également avec ceux chargés d’assurer sa vie matérielle dès lors qu’il ne cesse de geindre de manquer d’argent. Sa vie amoureuse est mouvementée. Elle accentue son déséquilibre. Strindberg oscille entre littérature, science, journalisme, sociologie, philosophie. C’est un malheureux qui se lamente d’être mal aimé. Nous sommes loin de la crucifixion en rose chère à Henry Miller. Il conteste, se raidit, se rebelle. Son tempérament plombe sa vie affective, ses projets, ses incessants déplacements. Son désespoir est le ferment d’une oeuvre qui veut convaincre, qui veut subjuguer la réalité supraréelle, la logique irrationnelle, celle qui participe à l’essence même de la poésie et dont ses lettres retiennent les signes dominants. Il estime que son oeuvre a sa place au plus haut niveau. On finit par comprendre comment cet homme fébrile a pu explorer quelques unes des voies majeures de la littérature européenne pour en atteindre les limites extrêmes. Influencé par Kierkegaard et Nietzsche avec lequel il entretient une correspondance, Strindberg fait preuve d’humilité lorsqu’il s’adresse à Emile Zola, lui donnant du « cher maître ». Son expérience de la vie est sans équivalent de par la multitude des métiers exercés, s’essayant dans tous les genres littéraires, n’hésitant pas à s’improviser acteur. Il martèle chacune de ses phrases avec rage. Strindberg n’a pas que des adversaires ; il a aussi des lecteurs enthousiastes. Knut Hamsum (1859-1952) lui voue une admiration qui ne fut jamais réciproque. Strindberg découvre Léon Tolstoï, le rejoint sur plusieurs points, s’en écarte lorsqu’il émet plus que des réserves sur la construction de Guerre et Paix. Il s’enflamme, écrivant en lettre capitales : « attaquer tous les programmes, renverser tous les leaders, dynamiter tous les partis ! ». De Nietzsche il dira qu’il annonce le déclin de l’Europe et du christianisme ; du réveil de l’orient, qu’il « reprend ses droits en tant qu’aristocratie qui a derrière elle la tradition la plus ancienne ». Il ne peut s’empêcher de répéter qu’il aime les femmes, adore les enfants. « Quoique divorcé, je recommande le mariage comme la seule forme de commerce entre les sexes ». L’influence de Strindberg est considérable. Kurt Tucholsky, Bertolt Brecht, Eugène O’Neill, se réclameront de lui y compris Eric von Strheim, l’écrivain. Les romans noirs des pays nordiques lui doivent une fière chandelle. La plupart des écrivains du genre lui sont redevable de quelque chose : ses jeux d’ombres et de lumière, le ressentiment des personnages, leur délire de persécution, l’art de la dissimulation, la vengeance.

 

Alfred Eibel

Auguste Strindberg. Correspondance tome I (1858-1885)

Auguste Strindberg. Correspondance tome II (1885-1894)

Editions Zulma, 430 p., 22 € et 450 p., 24 €.

 
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Publié par le février 20, 2011 dans Correspondance

 

Un secret de rue, de Farida Vafi

Née à Tabriz en 1962 (Azerbaïdjan iranien) Farida Vafi est l’auteur de plusieurs romans et de nouvelles. Traduite pour la première fois en français elle imagine des personnages ordinaires évoluent dans un quartier pauvre où tout le monde se connait. Les personnes âgées rôdent plus qu’elles ne se remuent non loin de croulants flageolants. Abou appartient à cette catégorie avec son regard de vieux crocodile fatigué. Un simple signe, les allées et venues, les multiples inflexions sont ici indiqués comme au théâtre les jeux de scène. Azar la petite sauvageonne et les gamines cherchent à se dégager des coutumes ancestrales. Ce n’est pas aisé. L’espièglerie la plus innocente est interprétée en offense. Pères et mères lâchent un chapelet de gronderies. Il est trop tard. Le fossé ne cesse de se creuser entre les générations. Curieux roman où sont disséqués les envies, les humeurs, les contrariétés dans l’agitation qui crée l’attrait de cette rue. On est en permanence entre un réalisme des plus terre à terre et un style d’allégorie qui prend soudain son essor donnant à ces histoires imbriquées les unes dans les autres un air de fête. Les enfants inventent des jardins aux cent fleurs ; pendant ce temps les parents défendent leurs plates bandes en faisant les gros yeux. Farida fait passer dans son roman une joie de vivre inattendue qui se divise entre badinages, pitreries et petits orages combinés par les vieux de la vieille.

 

Alfred Eibel

 

Zulma, 218 p., 18 €.

 

 
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Publié par le février 18, 2011 dans Uncategorized

 

Les sirènes d’Alexandrie, de François Weerts

Antoine est un journaliste spécialisé dans les faits divers. Il travaille pour un journal bruxellois. La Belgique connait en 1984 bien des soucis. Fermetures d’usines, blocage des salaires, chômage. Bref, désolation sociale et suicides. Pas pour tout le monde. La nuit bruxelloise brille sous les néons des vitrines. Des filles s’y exposent, s’y trémoussent en petite tenue. La police découvre à proximité des voies de chemins de fer le corps déchiqueté d’une femme qui s’était menottée aux rails. Est-ce un suicide ? Qui est cette femme ? On découvre qu’il s’agit d’une prostituée travaillant pour un claque appelé Alexandrie. Passionné par cette affaire Antoine ira d’étonnements en révélations. La police est-elle à la hauteur de l’évènement ? Pourquoi le caïd des proxénètes enlève-t-il Antoine ? Pourquoi les nazillons hostiles aux étrangers, nostalgiques de Léon Degrelle, ont-ils saccagés l’Alexandrie qui rappelle le One two two des joyeux lurons du temps de la collaboration ? Pourquoi tant de haine ? Ces gens-là sont-ils à la recherche de documents compromettants ? Nouvelle tuile pour Antoine. Son grand père décédé vient de lui léguer par testament l’Alexandrie, lupanar accueillant à qui respecte les codes. C’est un Bruxelles inattendu que dépeint François Weerts avec un pointillisme d’historien. Il nous entraine dans un monde nimbé d’une poésie trouble. Promeneur solitaire, Antoine tâtonne dans un dédale inextricable. Les certitudes sont celles qu’on veut lui imposer. Gare à ceux qui ont la langue trop bien pendue !

 

Alfred Eibel

 

Actes Sud – Babel Noir, 317 p., 8,50 €.

 

 
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Publié par le février 18, 2011 dans Uncategorized

 

La splendeur des Charteris, de Stéphanie des Horts

Aux profondeurs abyssales d’un nombre de romans où l’auteur se déculotte pour épater les niquedouilles de lecteurs, on préfère des lectures plus digestes, des dialogues diaprés délicieusement narquois et railleurs. Ce roman fourmille d’allusions à l’Histoire dissimulées semblables à des œufs de Pâques dans un jardin anglais. Nous sommes en 1936. La famille Charteris passe l’été dans sa résidence de l’île de Wight. Bientôt auront lieu les Jeux Olympiques de Berlin ; la venue à Londres du nouvel ambassadeur du IIIème Reich, Joachim von Ribbentrop. Luxe, vitesse, insouciance, autant de mots d’ordre tirés du Bottin mondain. Ces aristos sont fascinés par la grandeur de l’Allemagne, trinquent à la santé d’Adolf Hitler en posant comme Sir John Gielgud. Aux Charteris la devise suivante : « Le monde est à  nous et nous entendons bien en abuser ». Les filles ont depuis belle lurette jeté leurs culottes par dessus les moulins, les vieux daims libidineux sentent monter les prémices du désir. Le champagne coule à flots et fusent les traits d’esprits ! Les derniers secrets d’alcôve n’ont plus de secrets pour personne. On rit en se moquant de tout, en ne respectant rien sauf le Führer assimilé à la statue du Commandeur. On savoure l’écriture de Stéphanie des Horts qui page après page met le feu aux joues. Chassés-croisés, chuchotements, conspirations silencieuses, apartés, homos distingués, phraseurs et phraseuses, dérobades et saturnales étourdissent les Charteris et leurs invités au cours de conversations impossibles. Chacun camoufle sa singularité ; chacun a de l’esprit à revendre ; chacun sème ses remarques aigres-douces.  On songe au meilleur Dekobra. En vérité, Stéphanie des Horts est dans le droit-fil de ces romanciers britanniques formidables que sont Ivy Compton-Burnett et Henry Green dont l’inscription au fronton de leurs œuvres pourrait être : Nothing but the best.

Alfred Eibel

Albin-Michel, 227 p., 18 €.

 
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Publié par le février 1, 2011 dans Uncategorized

 

Oui…, de Murielle Renault

A quand l’accord indéfectible unissant pour la vie un couple fraichement émoulu devant le maire ? Sur un coup de tête, Benjamin déclare sa flamme à Juliette. Juliette se méfie, change d’avis. Benjamin se tâte. Sur ce prétexte qui paraît mince Murielle Renault a bâti une histoire qui nous a séduit. Elle aborde les multiples facettes d’un engagement, nous embarque dans un drôle de marivaudage. Pour Benjamin le cœur balance entre envie et audace, entre engagement et dérobade, entre complémentarité et le quand dira-t-on des copains. Surtout quand l’un d’eux en pinçait pour Juliette. Benjamin, lui, a connu une femme avant d’avoir trouvé chaussure à son pied. Les tourtereaux passent leur temps à se justifier, à se couvrir, à s’expliquer, à s’étendre sur les motifs de leurs sentiments, à s’éprendre et à se dépendre, à se reconquérir. Les parents sont frustrés, ne sont pas mis dans le secret des dieux ; ils se sentent rejetés et en font tout un fromage. Le lecteur prêtant l’oreille aux on-dit, amusé par les ragots du jour qui n’en finissent pas, par ces tergiversations, tenant compte de l’esprit mal tourné qu’on peut lui prêter, ne peut qu’être enchanté par cet exercice de haute école. Honni soit qui mal y pense. Conscient par l’expérience que les happy-ends sont très souvent trompeurs.

Alfred Eibel

Le Dilettante, 288 p., 20 €.

 

 
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Publié par le février 1, 2011 dans Uncategorized