Dans les années 50-60 le cinéma français se partageait les Champs-Elysées. Rien d’étonnant à ce qu’on y rencontrait, de jour comme de nuit, acteurs, réalisateurs, écrivains, journalistes, scénaristes et donc forcement Paul Gegauff (1922-1983). Avec talent Arnaud Le Guern restitue cette époque. Les comportements les moins raisonnables, les idées les plus farfelues prenaient racine. C’est dans cette exaltation permanente qu’apparaît tel le diable sorti de sa boite un homme qui jusqu’à l’âge de trente-trois ans n’avait pas fait grand chose. Une mémoire d’éléphant, une vaste culture, un comportement de dandy, ne doutant de rien, Gegauff se met à écrire dans le sillage de Stendhal, économe à la Chardonne, des romans qui ne manquaient pas d’allure. Mais la littérature rapporte moins que le cinéma. L’occasion s’est présentée : il ne cessera plus d’écrire pour des cinéastes, Rohmer, Clément, Duvivier, par dessus tout pour Claude Chabrol, compagnon des bons et mauvais jours, surtout les bons. Au fait, qui était réellement Paul Gegauff ? Un homme d’une « rigueur intellectuelle dans le désordre de la vie » disait Vadim. Le désordre et la nuit, l’alcool et la chasse, La Belle Ferronnière lieu de rendez-vous des filles jolies ; le drugstore de la rue Quentin Bauchart, où michetonneuses, étoiles filantes, actricettes en devenir circulaient avec l’espoir de changer de vie ; bouffe et bises à gogo, Castel jusqu’à l’aube. Paul Gegauff aimait inverser aphorismes et proverbes, décoiffer l’ordre moral ; la bienséance, s’assoir dessus ; ni gauche, ni droite, parce que l’humanitarisme l’emmerdait. Typique de cette époque et qui la résume, un éditeur malin annonçait la publication non expurgée des œuvres complètes de la comtesse de Ségur. Rions sous cape !
Alfred Eibel
Pierre-Guillaume de Roux éditeur, 185 p., 19,50 €.