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Archives Mensuelles: juillet 2020

Robert Walser, Petite prose

Célébré par Franz Kafka, le poète suisse Robert Walser (1878-1956), au cours d’une vie pleine de troubles, est considéré aujourd’hui comme un des écrivains importants du XXe siècle. Il sait exciter son imagination, se perdre en rêverie, prendre la vie à bras le corps sans parti pris, pour composer une suite de proses de petite étendue sur laquelle il emballe un portrait lancé à toute allure jusqu’au dernier mot, contre le sens commun pourrait-on dire, et finir par convaincre l’esprit le plus équilibré. Il note par exemple : « Tout vrai poète a une prédilection pour la poussière ». Robert Walser est sensible aux choses élémentaires, parce qu’elles nous aident à nous mouvoir dans le quotidien songeant à tant d’hommes sans pensée importante, sans idées, ne remarquant jamais rien. Et si la neige, nous rappelle le poète, était plus qu’un blanc manteau, un acte qui tient le milieu entre la plaisanterie et la bouffonnerie ? La plume de Robert Walser se promène au gré des chemins avec ou sans bifurcation, à la limite de l’absurde, de la parodie, avec une manière singulière de jongler avec les mots. Tout est raffinement chez lui, tout est ironie. Les bonnes questions, insiste Robert Walser, sont toujours absurdes pour la plupart alors qu’il est inévitable qu’on puisse être stupéfait devant des objets qui ne parlent pas. Sa galerie de portraits est étonnante, elle ébranle les certitudes, s’élève contre la cohérence qui nous empêche de musarder. « La vie est pour moi une salle à manger où je suis seul à table ». Il est temps de s’investir dans cette œuvre déroutante qui nous oblige à renouveler notre regard.

Alfred Eibel.

Éditions Zoé-Poche, 221 p. 10 €.

N.B. Lire aussi chez le même éditeur Seeland, Le territoire du crayon.

 
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Publié par le juillet 6, 2020 dans Uncategorized

 

Pierre Filoche, Ce bel été 1964

Les Trente Glorieuses. Les années soixante. Plus précisément 1964. Quand Paul, suite à un décès, se rend en province où il avait l’habitude de passer ses vacances chez ses grands-parents. Il avait alors quinze ans. Une province calme aux conciliabules de libellule, à une époque où l’électronique commençait à pénétrer dans les familles. Sans doute, constate Paul, la famille s’enorgueillissait d’être quelque part un modèle aux rencontres simples, non sans un brin de timidité de la part de Paul. On avait la mémoire de faits particuliers et de l’Histoire de France. Parfois, on se lâchait, on s’envoyait des vannes, on blaguait, on faisait de l’esprit durant le train-train quotidien coupé d’une bonne sieste. Paul, devant ses grands-parents, écoutait avec la plus grande attention. Comment s’occuper à la campagne, c’est la bonne question. On suivait le Tour de France, on écoutait les chansonniers, aussi Maurice Chevalier. Il y avait Charlotte et Marie-Claire. Comment résister à cette belle plante qui finissait par hanter Paul ? Était-ce le début d’une amourette ? Bref, des cachotteries entendues ici et là, sans parler des caprices des uns et des autres. Bref, les jours passaient. Il y avait de quoi recueillir des corbeilles de souvenirs. Stupéfait, Paul entend une réplique qui fait son effet, une bonne tranche de mauvaise humeur, des moments de folies. Réponse à la réponse ferme de la partie adverse. Et puis brusquement survient un décès. Était-ce vraiment une mort naturelle ? C’est un ensemble d’épisodes fort divers, la fluidité de ce roman aux dialogues savoureux, des péripéties à une époque où l’on pouvait se laisser aller sans forcément se faire taper sur les doigts.

 

Alfred Eibel.

Serge Safran éditeur, 183 p. 12,90 €.

 
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Publié par le juillet 6, 2020 dans Uncategorized

 

Jean-Pierre Martinet, La grande vie

Penchons-nous sur ces personnages maléfiques sortis du rang de cette humanité interchangeable qui nous emprisonne pour nous étouffer. Si vous ne connaissez pas Madame C., c’est le moment de la rejoindre. Concierge en surpoids qu’on se garde de fustiger à cause de l’épouvantable merde intérieure qu’elle trimballe. À ses côtés, Adolphe, jeune homme à l’esprit tourné vers le mal, employé aux pompes funèbres, tous deux domiciliés rue Froidevaux 1 juste au-dessus du cimetière, empêtrés dans un encrassement permanent. Ce qui n’empêche pas Madame C. et Adolphe de faire l’amour. Plus on avance dans le récit, plus on se tient les côtes, plus on se tape sur les cuisses, plus on se bidonne ! Se faire chier sur terre est tout un programme !

Le lecteur se tient les côtes car le délire dans la déchéance parait fantastique comme l’est le vice collé à la médiocrité. L’opiniâtreté dans la méchanceté. Et si Jean-Pierre Martinet en rajoute , c’est pour bien nous faire comprendre qu’en général on se contente d’exister ; que le macabre est à portée de main et que nous ne le savons pas ou voulons l’ignorer. Pauvres choses, a-t-on envie de dire à ceux qui pavoisent sans soulever le pavé. Quel bonheur n’est-ce-pas de barboter dans les eaux stagnantes ! Dans ce monde inconscient, nous nous rapprochons à petits pas de La chouette aveugle de Sadegh Hedayat (1903-1951). Un somnambulisme sans fin.

1Dans la rue avec Jean-Pierre Martinet d’Alfred Eibel, éditions des Paraiges, 114 p. 13 €.

Alfred Eibel.

L’Arbre Vengeur éditeur, 76 p. 9 €. Préface de Denis Lavant, postface d’Éric Dussert.

 
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Publié par le juillet 6, 2020 dans Uncategorized

 

Gilbert Lascault, Petite tétralogie du fallacieux

Laissez-vous surprendre, nous murmure Gilbert Lascault. À savoir que la vie est souterraine, que les théories sont des manèges qui ne s’arrêtent jamais de tourner. Il y a ceux qui brassent et qui oublient de passer l’existence au scanner, car ce qui parait invraisemblable n’est que la doublure du monde visible ; au fait, la fuite en avant a du bon ; l’impossible est possible. Prenez le cas d’un peintre. Ce qu’il peint n’est pas ce qu’il voit. Nous savons que ceux qui s’aveuglent sont victimes d’un mauvais coup de grisou. Autrement dit, la raison d’un événement officiel n’est jamais la vraie raison. Quelle est-elle alors ? Gilbert Lascault nous propose sa version et nous amène au centre de la terre, tel Jules Verne, parce que nous devrions être tenus à l’impossible. Faut-il en tirer une leçon ? Précisément pas, ce serait vouloir conclure et l’on sait par ailleurs que conclure n’est qu’un pis-aller. Henry Green nous met en garde dans son roman Conclusion. Armand Guibert a intitulé l’un de ses recueils Enfants de mon silence, ce que vise à n’en pas douter Gilbert Lascault. Dans son avant-propos, Éric Dussert nous pousse « à pénétrer par les fenêtres de la critique esthétique ». Remettre en cause les définitions établies pour se placer du côté de la révolte permanente et se réjouir, c’est la moindre des choses, de l’imprévisible. Accueillir l’inattendu à bras ouverts. Gottfried Benn a bien raison de mettre sur le même plan le prix littéraire qu’on vient de lui décerner et ce même jour d’avoir pu recoudre un bouton à la robe d’une jeune femme.

 

Alfred Eibel.

L’Arbre Vengeur éditeur, 362 p. 17 €.

 
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Publié par le juillet 6, 2020 dans Uncategorized