Si vous ne connaissez pas le Xe arrondissement de Paris d’une époque lointaine, le moment est venu de lire ce livre. Au bistrot Chez Tino vous êtes sûrs de rencontrer des phénomènes. On se dévisage, on se plie aux formules, on jacte, on tisonne des vieux souvenirs, on se lance des vannes, on se vante, on se fait comédien, on vagabonde avec le langage. Du barouf, il y en a à foison surtout lorsqu’on sursaute devant quelques gueules d’enfer. Des gens à la coule, des caïmans qui fichent la trouille. Entendre pérorer Toubib, la mémoire du quartier, c’est un peu se retrouver dans un Ulysse joycien entouré de bricoleurs. Il suffit qu’une gonzesse se fore une place dans ce rade pour qu’aussitôt on la confonde avec la môme-vert-de-gris. Ici tout le monde en tient une couche. Cafés et pastis font rivière. Chacun essaime tant qu’il peut. La provoc est de rigueur. Nous sommes en présence d’une nouvelle traversée de Paris. Des clients mal embouchés s’évertuent à faire des niches. Il arrive que Toubib se lance dans une superbe leçon d’histoire du vieux Paris devant un parterre de tarés, de termites, de traine-lattes. Parfois la connerie se taille des costards. Des solitaires se retrouvent comme chez Edward Hopper. Pour durer au milieu d’un bruit d’approbation ou d’improbation, on a intérêt à la boucler et à siroter tranquillos son café-calva. Calmos pourrait-on dire pour se faire oublier.
Alfred Eibel.
Éditions Godefroy de Bouillon, 416 p. 29 €.