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Archives Mensuelles: mars 2013

EN FEUILLETANT, EN SURVOLANT (8)

         « Ne sommes-nous pas rescapés d’un monde qui n’est pas le nôtre, qui nous  est imposé, sur lequel nous devons marcher comme si nous avions été  projetés sur la lune? » C’est la question que l’on peut se poser en lisant « Le Meurtre » de Jacques Sommer à paraître cet automne chez Pierre Guillaume de Roux éditeur.

 

        « La plupart des gens, moi compris, se sentent valorisés s’ils peuvent vous raconter quelque chose qu’ils savent et que vous ne savez pas. Cette impulsion est la plus grande alliée du reporter, et aussi du policier. Il faut parler aux gens… comme vous êtes en train de le faire à ce moment précis! »

 

        Extrait de Exclusif Tom Wolfe se confie à Libé. Interview. Libération du 23 et 24 mars 2013.

 

   Gilles Morris- Dumoulin, 200 romans, 200 traductions des meilleurs écrivains  de romans criminels américains, connu comme le loup blanc dans le milieu dit du polar, vient de publier un roman qui renouvelle complètement le genre policier. « Le Bout de l’Horreur » signé G. Morris vient de paraître aux  Editions Genèse (173 pages, 17, 50 E) « Gilles Morris -Dumoulin à l’affût de l’actualité nourrit son œuvre de modernité, sous ses formes les plus variées, sous des apparences séduisantes qui dissimulent le pire. Il faut se souvenir de l’œuvre d’Aldous Huxley quand celui-ci dans « Le Meilleur des Monde »  imagine la notion même d’individu « effacé ». Il faut se méfier de notre homme, le ton bon enfant de ses narrations tournent très vite au cauchemar ».

 

        Frédéric Dard (San Antonio) a déclaré un jour qu’à ses yeux seuls deux écrivains de romans populaires savaient écrire: Gilles Morris-Dumoulin et lui. Il fallait avoir le courage de le dire.

 

        A lire sans tarder « Sauvages Blancs! » par Jossot ( Editions Finitude, 172 P., 9 E) . Voilà ce que dit la quatrième de couverture: «  Jossot n’aime pas les tièdes, pas plus qu’il ne supporte la bêtise, l’ignorance ou les préjugés qu’il fustige dans ses caricatures. Lorsqu’en 1911, en pleine gloire, il abandonne ses pinceaux et quitte la France pour s’installer en Tunisie, il est à la  recherche d’un monde nouveau. Alors Jossot trempe sa plume dans le vitriol et ne fait plus de quartiers ;  il rue dans les brancards et sait choisir ses sujets : les raisons de sa conversion à l’Islam, les méfaits de l’instruction, le port du voile, l’intégrisme religieux, « l’assimilation » avilissante, la folie meurtrière des états, le droit à la paresse, la course irraisonnée aux profits.

 

 

Alfred Eibel.

 

 

 

 

 

 

 
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Publié par le mars 31, 2013 dans Uncategorized

 

Albert Dunkel, écrivain de génie, tueur en série, de Michael Siefener, Serge Safran éditeur, 235 p., 19 €.

 La création littéraire est issue de fonds obscurs. Pourquoi ne pas montrer étape par étape le montage d’une œuvre, ce qu’elle révèle de troublant ; allons plus loin, de crapuleux. Michael Siefener s’est attelé à cette tâche difficile. Avec Albert Dunkel on pénètre dans des zones obscures. Il a été durant des années le souffre-douleur de ses camarades d’école. Richard von Krafft-Ebing (1840-1902) qui s’est consacré à l’étude des maladies mentales aurait vite diagnostiqué chez Dunkel, suite aux persécutions dont il fut la victime, un apprenti sadique, un malfaiteur au sens où l’entendait Julien Green, un désespéré absolu et par voie de conséquence un criminel en puissance. Heinrich von Maulschweig (1873-1938), le grand psychiatre viennois, a écrit, suite aux séances de quelques écrivains, que s’ils n’avaient pas écrit ils seraient devenu des criminels. N’a-t-on pas lu quelque chose de semblable à propos de Fritz Lang ? Le drame d’Albert Dunkel auteur de plusieurs romans remarqués, n’a pas pour autant renoncé à tuer. Celui qui déclarait avoir été un premier de classe, lecteur de Lovecraft, victime d’une mère castratrice, solitaire à l’exemple de Peter Lorre dans M le maudit, ne pouvait se satisfaire que par l’écriture. Confronté à l’incommensurable. Albert Dunkel vécut dans un monde de violence et de cynisme ; un monde absurde, déchiré, spectateur d’une civilisation en déclin, un monde paralysé par le renoncement et par la lâcheté. Il fallait qu’il se fasse entendre : N’a-t-il pas déclaré « Dieu m’a enfin entendu ! ». Pour secouer un peuple pris de léthargie, il fallait qu’Albert Dunkel le réveillât, car « L’homme est tout espoir. Lorsque l’espoir a disparu, il n’est plus que néant », notamment par son roman Les Mille yeux du Cauchemar (allusion au Dr. Mabuse). Propagandiste du pire, à l’exemple du Dr. Goebbels, prétendant pouvoir diriger, communiquer par contact ou à distance, à l’exemple de Franz Anton Mesmer (1734-1815) Albert Dunkel pétri d’incertitudes et d’angoisses, homme violent envers sa femme, au comportement irrationnel, inspire le dégoût ou attire. On connait l’intérêt que peut susciter chez le citoyen des personnages qui sentent le souffre. Une société « frankensteinisée » ne peut au bout du compte que voir se dresser devant elle, un homme comme celui-ci, fou et dangereux, qui dans un de ses romans décrit des meurtres avec un sadisme peu commun. Cet homme n’hésite pas à déclarer que l’Histoire n’est qu’un immense engrenage. Il a mauvaise conscience, il en joue, avance à tâtons dans les ténèbres. Il laisse ceux qui l’approche dans un état d’incertitude. Il fréquente l’obscur, le douteux, le confus. Il est l’ami des secrets. Le définir, c’est la bouteille à l’encre, d’une société composée d’hypocrites, de profiteurs. Sa singulière attirance pour les cimetières en a bluffé plus d’un. Sans domicile, il rôde la nuit, à la recherche d’un abri. Près de soixante ans après la fin du IIIème Reich, d’étranges rêveurs hantent encore les rues, des sorciers peu ordinaires, des êtres insaisissables, dans un monde « synonyme de maladie, mort, putréfaction et autres calamités ».

Dunkel est la prototype de cela. Ses cris inquiètent. Son occultisme laisse perplexe. Michael Siefener en biographe scrupuleux abandonne aux lecteurs plusieurs interprétations possibles. On sait par expérience que tout tyran commence par écrire des poèmes, loin de ceux de Trakl (1887-1914), Gottfried Benn (1886-1956) ou Paul Celan (1920-1970) qui ont pressenti les images cruelles et violentes à venir. S’il fallait s’appuyer sur quelques prédécesseurs de Michael Siefener, nommons Jorge Luis Bergès ou Arno Schmidt. Traduit avec talent, cette biographie se lit comme un roman criminel (krimi en allemand) comme une série de faits-divers, les uns plus impressionnant que les autres, à vous donner des sueurs froides.

Alfred Eibel

 
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Publié par le mars 31, 2013 dans Uncategorized

 

Eric Dussert : Une forêt cachée. 156 portraits d’écrivains oubliés.

 Dans son avant-propos à son XVIIème siècle. Recherches et portraits (Denoël) André Lebois écrit : « Le siècle que l’on croit connu, à cause des manuels et des tombereaux de commentaires déversés sur cinq ou six « grands » – les malheureux ! – toujours les mêmes, qui n’en peuvent mais… Ce terrain que l’on croit exploité, fouillé, retourné à la houe et à la serfouette, et dont tant d’hectares demeurent en friche… Ce filon que l’on croit épuisé, et qui recèle tant de trésors… ». On en dira autant du livre d’Eric Dussert préfacé par Claire Paulhan qui écrit : « Qui sont des « personnages cardinaux », absents des manuels et des dictionnaires ? Qui sont ces humbles, injustement négligés, vaincus par une postérité désastreuse ? ». Par bonheur, Eric Dussert, en avocat passionné, nous restitue ces destins malchanceux. Bon nombre étaient connus de leur vivant, lus, appréciés, parfois académicien. Oui, la postérité est un jeu de hasard. Ceux qui ont fait naufrage égalent ceux qui sont portés aux nues. C’est une nécessité que de plaire aux universitaires, sinon pas de salut. Vous ne voyez que Diderot ? Incliner la tête, vous apercevrez Caylus (1692-1765) il en vaut la peine. Vous lisez Balzac ? Posez un instant votre livre, emparez-vous d’Alphonse Karr (1808-1890) « maître du pamphlet et de la pique assassine ». N’hésitez pas à ouvrir L’ascension de M. Baslève d’Edouard Estaunié (1862-1942) « roman d’une veine balzacienne » certes mais qui annonce Georges Simenon. Vous ne jurez que par E.M. Cioran ? Absorbez Les nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon (1861-1944) ; par ce génie, Suisse de surcroit, Henri Roorda (1870-1925). Vous aimez l’aventure, Jules Verne ? Vous aimerez Les Tortues de Loys Masson (1915-1969). Suivez le guide des écrivains qui voyages : Claude Anet (1868-1943), Théo Varlet (1878-1938), Maurice Dekobra (1885-1973), Albert t’Serstevens (1885-1974). Vous vous indignez ? Lisez Victor Barracand (1866-1934). Vous aimez la guerre ? Procurez-vous sans tarder La Peur de Gabriel Chevallier (1895-1969). La lecture d’Armel Guerne (1911-1990) vous évitera bien des livres inutiles. Amateurs des chroniques d’Alexandre Vialatte, sachez que les chroniques dispersées à tous vents d’Armand Guibert (1906-1990) une fois réunies en volume, en épaterons plus d’un. Vous mordez à l’œuvre de Paul Claudel, alors, prenez le temps de tanguer avec le mystérieux Basile Sainte-Croix (1901-1987). On irait bien au-delà… Laissons le lecteur s’égarer dans cette forêt qui a valeur d’un conte des frères Grimm. L’écriture d’Eric Dussert n’est pas celle d’un comptable. C’est un écrivain. Son affection pour les auteurs qu’il présente est grande. Sa tendresse rend la lecture de ce livre captivant.

Alfred Eibel

La Table Ronde, 605 p., 20,60 €.

 
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Publié par le mars 31, 2013 dans Uncategorized

 

A propos de Drieu La Rochelle. Remarques sur quelques lectures et relectures (suite 3)

À ce sujet, Frédéric Grover, dans l’essai qu’il lui a consacré, rapporte que, Marcel Arland ayant loué ce Feu follet (mais non à la NRF, qui ne daigna en rendre compte) ; Drieu lui écrivit une lettre de reconnaissance émue, affirmant qu’il l’avait écrit au fil de la plume, pour se décharger d’un poids – alors que le manuscrit conservé atteste cinq ou six réécritures pour plus d’un épisode. Pose courante, mensongère revendication d’irresponsabilité que l’on débusque chez les plus insignes aussi bien, un vieil obscurantisme en l’occurrence n’ayant pas achevé ses ravages.

Ajoutons que cette qualité « d’application au style » (Mallarmé), on la goûte non moins dans plusieurs des nouvelles de La comédie de Charleroi, à commencer par celle qui baptise le recueil : dont Malraux déclarait, non sans quelques extravagance – ou, pour user d’un adjectif remis, à l’en croire, en usage dans la langue française par lui-même : de la façon la plus farfelue – qu’il était Le Guernica de Drieu : œuvre au surplus non de la meilleure de Picasso, à beaucoup près. (Evoquant le Malaguène en Espagne même, Gilles-Walter, le citant parmi « l’immense maladie » de Paris et du monde moderne, parle de « son fulgurant aveu final », ce qui n’est certes point éloge).

 

 

Attaque du Feu follet : « A ce moment là (celui de l’orgasme), Alain regardait Lydia avec acharnement ». Dernier paragraphe (le suicide) : « Un revolver, c’est solide, c’est en acier. C’est un objet. Se heurter enfin à l’objet ».

 

Pierre Crescent (la suite la semaine prochaine)

 
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Publié par le mars 28, 2013 dans Uncategorized

 

En feuilletant, en survolant (8)

Matulu, années 70, réactionnaire en diable ou diablement d’avant-garde ? Dès 1972 l’ami Claude Schmitt découvre Albert Cossery et ses Hommes oubliés de Dieu (N°14, mai 1972) ; dossier Henri Calet qui doit sa notoriété à Jean-Pierre Martinet ; dossier Alexandre Vialatte soutenu par Jean Dutourd, bien avant que Vialatte devienne à la mode. Dossier Etiemble, dossier Judrin, concoctés par Alfred Eibel. Des notes de lectures sur des écrivains délaissés. L’ardeur d’André Fraigneau à défendre Pierre Loti. Il y a quarante ans déjà. On feint de découvrir Albert Cossery. Les faits sont là. N’en déplaise à Blaise.

*

 Les défenseurs de Casanova devraient s’intéresser à son contemporain Joseph Gorani (1740-1819) aventurier italien, auteur de Mémoires pour servir à l’histoire de ma vie, une des personnalités les plus intéressantes du siècle des Lumières en Europe. Gorani écrit : « Les imperfections qu’on remarque dans les femmes ont pour cause générale les vices de leur éducation et les vices des lois, en sorte que c’est aux hommes que l’on doit reprocher les défauts des femmes ; ce sont eux qui les rendent frivoles, ineptes, fanatiques, superstitieuses, et qui rendent funeste à la société leur faiblesse et leur sensibilité, qui dans l’ordre de la nature, devraient être des sources de bonheur et de consolation ».

 *

 A-t-on le droit de supprimer un individu qu’on estime nuisible à la société ? Scandaleuse question. Ceux qui aiment argumenter, batailler, discutailler, se disputer, feraient bien de lire Le Meurtre de Jacques Sommer, à paraître cet automne chez Pierre-Guillaume de Roux éditeur.

 

Alfred Eibel

 
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Publié par le mars 25, 2013 dans Uncategorized

 

Gabriel Matzneff : Séraphin, c’est la fin !

Le bruit court : Gabriel Matzneff a l’esprit de synthèse. C’est vrai. Cet écrivain est très attentif, indifférent aux modes. A toujours refusé ce qui aurait pu améliorer son ordinaire. Cela aurait été au prix de compromissions. Depuis son premier livre à celui-ci, il en endosse seul la responsabilité. Son œuvre est donnée. Elle ne cherche pas à tout prix à capter un public. Elle se défend seule d’être happée par ses groupies. C’est le bel hasard, c’est le bouche à oreille. Matzneff ne nourrit aucune illusion touchant l’avenir de la liberté, de la beauté, des diverses passions qui aura empli sa vie d’homme et inspiré son travail d’écrivain. Il est dans le meilleur sens du mot un voyageur sans bagage. Dans l’attente du pire, toujours certain. Donc, pas une minute à perdre. Foin des questions inutiles. Dans ses chroniques religion et politique se succèdent. En alternance. Païen et chrétien selon la situation. Son blason : « Jouir de l’instant présent ». Mal aimé par ceux qui voudraient le maintenir dans une case. A l’improviste, il jaillit de sa boite sourire malicieux. Il sait que l’époque n’est pas favorable aux écrivains. Il assume, ne se renie pas, fait la nique aux bonnets de nuit. Cet homme peine à dissimuler son impatience. Il est le représentant type d’une catégorie d’écrivains en voie de disparition. Il est entré en écriture comme on entre en religion. Il concilie Chestov, Schopenhauer, Tintin, le cinéma, Casanova, Harry Potter, Agatha Christie. Ne laissons pas passer la chance de le lire : son livre, un jardin des délices.

Alfred Eibel

La Table Ronde, 266 p., 18 €.

 
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Publié par le mars 25, 2013 dans Uncategorized

 

HITCHCOCK ET SES BLONDES FLASHANTES

Hitchcock et « ses » blondes, Hitchcock et le sexe, Hitchcock et ses héroïnes, Hitchcock et ses « méchants », Hitchcock et ses actrices… autant de thèmes qui intriguent depuis longtemps le cinéphile et excitent la curiosité du spectateur novice. Grande est la tentation de voir en cette œuvre piégée, délicieusement perverse, un reflet de la vie très privée d’un réalisateur devenu au fil des ans l’un des plus célèbres de la planète. Ces réalisateurs aussi « pervers » que Buñuel, Sternberg, Stroheim, David Lynch ou David Cronenberg pourraient raisonnablement inciter la critique aux mêmes investigations, mais celle-ci s’en abstient, avec un respect craintif. Avec le Maître, toute retenue semble par contre oubliée, et il est devenu de tradition d’autopsier et psychanalyser Hitchcock avec le même entrain qu’il mettait à assaillir ses victimes.

Le court essai de Serge Koster est signé d’un authentique amoureux, qui vibre à six des divers films de « de blondes » que comprend l’œuvre hitchcockienne. L’angle choisi, aussi étroit qu’il puisse sembler à première vue, permet de balayer de vastes pans de ce cinéma, tout en donnant libre court à une écriture intuitive et lyrique. Les métonymies sont abondamment invoquées dans cette lecture, certaines fragiles et contestables, d’autres réellement éclairantes. On apprécie ainsi les rapprochements faits entre les trois films de Grace Kelly (LE CRIME ÉTAIT PRESQUE PARFAIT, LA MAIN AU COLLET, FENÊTRE SUR COUR) autour du thème du mariage, qui émerge ainsi comme une donnée fondamentale de l’inspiration hitchcockienne. Partant de là, le lecteur est incité à apprécier ce qui rapproche, par exemple, REBECCA et son « jumeau » SOUPÇONS des ENCHAÎNÉS, LES AMANTS DU CAPRICORNE, LE PROCÈS PARADINE, etc. L’assimilation du chignon au sexe féminin paraît aussi incontestable, et Koster se livre ici à quelques fines variations sur ce cinéaste « qui ne laisse rien au hasard quand il s’agit des raffinements du désir et de faire se toucher les corps en évitant les crudités de la chair ». J’aime le rapprochement fait entre l’effort d’Hitchcock pour remodeler la Kim Novak de VERTIGO et celui de James Stewart, acharné à recréer sa Madeleine ; je goûte ce beau raccourci pour définir le couple impossible que forment « une vivante d’entre les morts, sous le regard d’un amant des ombres », et cette longue description de la magistrale scène du wagon-restaurant de LA MORT AUX TROUSSES, où « le sourire railleur (d’Eva Marie Saint) est une invite à la retenue autant qu’à la dépravation ». Après ces sommets, les deux films de Tippi Hedren ne peuvent que décevoir par leurs violences rageuses, et Koster grossit à peine le trait en y voyant « le tombeau de la blondeur ».

Porté à un enthousiasme sans frein, Koster se laisse aller à des éloges dont la démesure prête à sourire. Qui peut soutenir que « seul Alfred Hitchcock a conféré aux stars une dimension mythique » et un tel pouvoir de rayonnement ; que le génie d’Hitch a créé avec ses « actrices enchanteresses » une « constellation esthétique et érotique à nulle autre pareille ». Plus gênants que ces plaisants emballements me paraissent être les dérapages et chutes dans la trivialité (« Comment dissimuler que la messagère de la mort a aussi le feu au cul », à propos d’Eve dans LA MORT AUX TROUSSES), l’incise gratuite sur la liaison de Kim Novak et Sammy Davis Jr, l’interprétation délirante de « l’Introducing Tippi Hedren » des OISEAUX, la fixation sur les « fentes » du sac à main de Marnie, sans parler du « phallus de bois » (?) qu’est censée cacher Grace Kelly dans sa vanity-case de FENÊTRE SUR COUR.

Reste qu’au-delà de ces réserves, l’essai se révèle enrichissant et captivant. Il mérite une lecture attentive, qui apportera encore des surprises, même à ceux qui possèdent une bonne connaissance des films cités.

Olivier Eyquem

Serge KOSTER : « Les blondes flashantes d’Alfred Hitchcock », Éditions Léo Scheer, 2013, 86 pages, 15 €

 
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Publié par le mars 24, 2013 dans Uncategorized

 

TOUT S’EST BIEN PASSÉ, d’Emmanuèle Bernheim

La fin de vie d’un parent âgé nous semble parfois moins douloureuse lorsqu’elle s’inscrit dans un cadre temporel défini par des autorités médicales compétentes. Annoncer à une famille qu’il serait vain d’espérer une survie à J+20 ou J+30… rassure paradoxalement. Ce pronostic fait entrer le cercle des proches dans une durée mesurable et quantifiable, qui peut être partagée et assumée avec d’autres : l’hôpital, avec sa logique et ses rites émollients, entre en scène, nous dispensant d’accorder notre temps à celui qui se prépare à tout quitter.

Mais les fins de vie, qu’on aimerait voir prendre l’allure d’un fleuve tranquille, sont rarement exemptes de soubresauts et de mauvaises surprises. Le patient s’y révèle indocile et capricieux. On le croyait résigné, et voilà qu’il exige de partir dignement, en restant maître de son destin. Comment accueillir cette requête si légitime, dans un pays comme la France qui y met tant d’obstacles ? Faut-il prêter l’oreille à ce vieux père, qui a déjà une longue histoire d’improbables guérisons ? Ne pourrait-il pas se tirer d’affaire, une fois de plus… ?

En chargeant sa fille Emmanuèle d’honorer ses dernières volontés, le vieil homme la plonge dans une perplexité durable. Réaffirmant sur elle une autorité paternelle qu’elle pouvait croire révolue, il déréglera les rythmes de sa vie quotidienne, y introduisant des urgences, des incertitudes, des angoisses insupportables. Dès les premières pages de ce récit, les séquences s’enchaînent à un rythme haletant, maelström de sensations et d’affects qui happe et emporte le lecteur. L’écriture « objective » de Bernheim fonctionne une fois de plus à plein rendement, consignant avec une rigueur extrême ses plus infimes variations d’humeur, palpitations, moiteurs, nausées et battements de cœur. Ce ressenti dilaté, intensifié, obnubile sa conscience, lui interdisant tout recul. La narratrice se soumet à ce flux, qui par avance la rend captive du vouloir du père. Aussi dégradé que soit l’état de ce dernier, c’est lui qui établit la feuille de route. Elle tergiverse, diffère, alors que lui reste inébranlable jusqu’à la déraison.

Les incertitudes pourtant ne manquent pas : rechutes, aggravations temporaires, doutes, difficultés pratiques se multiplient jusqu’aux dernières heures, transformant une belle promesse en calvaire. Pire : les derniers jours dont ou pouvait espérer un répit, un ultime et paisible dialogue père/fille se dérouleront dans l’angoisse. La chute abrupte, en lieu et place de l’adagio espéré, n’en sera que plus émouvante, dans sa cruelle nudité : tenue par prudence à l’écart de la cérémonie des adieux, la fille devra se contenter de quelques mots apaisants : « Tout s’est bien passé »… Tant il est vrai que la mort de l’autre reste à jamais un vol…

Olivier Eyquem

 

 

 
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Publié par le mars 15, 2013 dans Uncategorized

 

A propos de Drieu La Rochelle. Remarques sur quelques lectures et relectures. (Suite)

Car, en tant qu’écrivain même, Drieu commit le péché majeur contre la littérature : quoi qu’il prétendît, la plupart du temps il ne la prit pas, praticien, au sérieux ; négligence d’une part – qui paraît avoir rimé pour lui avec élégance, celle présumée du dandy -, paresse de l’autre, disposition souvent par ses propres soins dénoncée, dans ses textes autobiographiques comme au travers de ses projections en personnages porte-voix (Yves dans Rêveuse bourgeoise et Gilles, singulièrement), sur quoi je reviendrai. Il en devient presque étonnant que, dans l’ensemble de ses douze romans si fréquemment bâclés, il en ait malgré tout produit deux qui soient, à mon estime (je ne m’exprime pas ici, le lecteur l’aura compris, pour un public de drieulâtres ; je m’efforce à des observations et évaluations précises, selon des critères miens), qui soient, dis-je plus que bons : très bons ; l’un, essentiellement poignant, l’autre avant tout brillant, soit Le Feu follet et, douze années plus tard, cet Homme à cheval d’une écriture à l’élégant classicisme, ce qu’il aura composé de mieux – le premier, à l’emportante rapidité funèbre, est modelé, ou modulé suivant un registre plus familier, un ton moins tenu, mais pour autant maîtrisé. (Paulhan, Guillevic, avec des réserves non centrales, témoignèrent par lettre à Drieu de l’admiration qu’ils éprouvaient pour L’homme à cheval. Paulhan, envers lui, pour l’avoir sauvé de la Gestapo, Drieu ne nourrissait pas moins des sentiments très… complexes, aurait quelque peu posé pour le savoureux père jésuite Florida, être plus que duplice, manipulateur de vocation ; et Victoria Ocampo, la scintillante ex-maîtresse de l’auteur, en partie aussi pour Doña Camilla Bustamente.)

 

Pierre Crescent.

 

(la suite la semaine prochaine)

 

 
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Publié par le mars 14, 2013 dans Uncategorized

 

En feuilletant, en survolant (7)

Ouvrant « Terrain à vendre au bord de la mer », de Henry Céard (1851-1924) je tombe sur ce passage : « Pour dissiper la méphitique atmosphère qui l’entoure, Malbar alluma une cigarette. Chien-de-Nous regardait, le suivait pas à pas, et tous deux allaient et venaient le long de l’église dans la nuit où les verriers, par place, laissait tomber à terre de grande nappes de clarté ». Par une de ces associations d’idées difficiles à communiquer, clandestine, dirais-je, je songe aux intervalles qui voient le jour naître, au roman de Jacques Sommer Le Meurtre à paraître cet automne aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

*

« Il n’est pas question ici de nier les immenses victoires remportées par le long processus, toujours en cours, de la libération sexuelle : fini le temps de la honte, de la concupiscence et du péché de la chair, abolie la haine de l’homosexuel, oubliée la grossesse non désirée, enterrée la phobie du plaisir féminin. Il était grand temps. Mais on peut tout de même s’inquiéter de certaines dérives de ce tropisme sexuel : en quelques décennies, notre société a basculé du discours de la libération à celui de l’injonction, de la permissivité conquise à la jouissance forcée. Le sexe était une audace, il est devenu un pensum ».

Je t’aime à la philo. Quand les philosophes parlent d’amour et de sexe, d’Olivia Gazalé, Le Livre de Poche, 426 p., 7,10 €.

Jean Paulhan a promu d’étranges écrivains : Malcolm de Chazal, Noël Devault, Theodore Francis Powys. Il faut rendre hommage à l’éditeur Jean-Cyrille Godefroy d’avoir publié M. Bugby fait peur aux oiseaux, après Le bon vin de M. Weston, De vie à trépas et Capitaine Patch, tous les trois chez Gallimard. Si vous avez « l’esprit obscur » c’est le moment d’ouvrir ce livre : « Le cognac /dit M. Bugby/ est une boisson qui r’monte rudement quand on est un pauvre homme lié à une vieille toupie. Et une fille avec des ch’veux frisés, et un petit lacet sur le corsage qui s’déchire facilement, c’est une rudement bonne boisson ça aussi ».

Theodore Francis Powys : Mr. Bugby fait peur aux oiseaux, Jean-CyrilleGodefroy, 244 p.

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Ivresse, de Jean-Luc Nancy

« Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question ». Plus loin Baudelaire ajoute « enivrez-vous », de vin, de poésie, de vertu. Pour Li Bai, grand poète chinois, le vin a le pouvoir de chasser le chagrin. Lire Le bleu du ciel de Georges Bataille. Ne pas oublier Verlaine, ne pas faire impasse sur Alcools. Goethe parle d’une ivresse singulière en citant Spinoza « Ivre de Dieu ». Voici le meilleur, cette déclaration de Malcolm Lowry (1) : « Regarde… J’ai transformé ma vie, lutté contre la mort, non pas une heure durant, non pas un instant au cours de mes ivresses, cela en a valu la peine : durant les pires moments de ma vie, pas une seule goutte de mescal, en alchimiste que je suis, qui ne s’est pas instantanément transmué en or ; pas un seul verre qui n’ait créé en moi un chant ».

Ivresse, de Jean-Luc Nancy, Bibliothèque Rivages, 89 p., 10 €.

(1) Pursued by furies. A life of Malcolm Lowry, by Gordon Bowker (Harper/Collins)

 
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Publié par le mars 14, 2013 dans Uncategorized