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Robert Walser, Petite prose

Célébré par Franz Kafka, le poète suisse Robert Walser (1878-1956), au cours d’une vie pleine de troubles, est considéré aujourd’hui comme un des écrivains importants du XXe siècle. Il sait exciter son imagination, se perdre en rêverie, prendre la vie à bras le corps sans parti pris, pour composer une suite de proses de petite étendue sur laquelle il emballe un portrait lancé à toute allure jusqu’au dernier mot, contre le sens commun pourrait-on dire, et finir par convaincre l’esprit le plus équilibré. Il note par exemple : « Tout vrai poète a une prédilection pour la poussière ». Robert Walser est sensible aux choses élémentaires, parce qu’elles nous aident à nous mouvoir dans le quotidien songeant à tant d’hommes sans pensée importante, sans idées, ne remarquant jamais rien. Et si la neige, nous rappelle le poète, était plus qu’un blanc manteau, un acte qui tient le milieu entre la plaisanterie et la bouffonnerie ? La plume de Robert Walser se promène au gré des chemins avec ou sans bifurcation, à la limite de l’absurde, de la parodie, avec une manière singulière de jongler avec les mots. Tout est raffinement chez lui, tout est ironie. Les bonnes questions, insiste Robert Walser, sont toujours absurdes pour la plupart alors qu’il est inévitable qu’on puisse être stupéfait devant des objets qui ne parlent pas. Sa galerie de portraits est étonnante, elle ébranle les certitudes, s’élève contre la cohérence qui nous empêche de musarder. « La vie est pour moi une salle à manger où je suis seul à table ». Il est temps de s’investir dans cette œuvre déroutante qui nous oblige à renouveler notre regard.

Alfred Eibel.

Éditions Zoé-Poche, 221 p. 10 €.

N.B. Lire aussi chez le même éditeur Seeland, Le territoire du crayon.

 
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Publié par le juillet 6, 2020 dans Uncategorized

 

Pierre Filoche, Ce bel été 1964

Les Trente Glorieuses. Les années soixante. Plus précisément 1964. Quand Paul, suite à un décès, se rend en province où il avait l’habitude de passer ses vacances chez ses grands-parents. Il avait alors quinze ans. Une province calme aux conciliabules de libellule, à une époque où l’électronique commençait à pénétrer dans les familles. Sans doute, constate Paul, la famille s’enorgueillissait d’être quelque part un modèle aux rencontres simples, non sans un brin de timidité de la part de Paul. On avait la mémoire de faits particuliers et de l’Histoire de France. Parfois, on se lâchait, on s’envoyait des vannes, on blaguait, on faisait de l’esprit durant le train-train quotidien coupé d’une bonne sieste. Paul, devant ses grands-parents, écoutait avec la plus grande attention. Comment s’occuper à la campagne, c’est la bonne question. On suivait le Tour de France, on écoutait les chansonniers, aussi Maurice Chevalier. Il y avait Charlotte et Marie-Claire. Comment résister à cette belle plante qui finissait par hanter Paul ? Était-ce le début d’une amourette ? Bref, des cachotteries entendues ici et là, sans parler des caprices des uns et des autres. Bref, les jours passaient. Il y avait de quoi recueillir des corbeilles de souvenirs. Stupéfait, Paul entend une réplique qui fait son effet, une bonne tranche de mauvaise humeur, des moments de folies. Réponse à la réponse ferme de la partie adverse. Et puis brusquement survient un décès. Était-ce vraiment une mort naturelle ? C’est un ensemble d’épisodes fort divers, la fluidité de ce roman aux dialogues savoureux, des péripéties à une époque où l’on pouvait se laisser aller sans forcément se faire taper sur les doigts.

 

Alfred Eibel.

Serge Safran éditeur, 183 p. 12,90 €.

 
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Publié par le juillet 6, 2020 dans Uncategorized

 

Jean-Pierre Martinet, La grande vie

Penchons-nous sur ces personnages maléfiques sortis du rang de cette humanité interchangeable qui nous emprisonne pour nous étouffer. Si vous ne connaissez pas Madame C., c’est le moment de la rejoindre. Concierge en surpoids qu’on se garde de fustiger à cause de l’épouvantable merde intérieure qu’elle trimballe. À ses côtés, Adolphe, jeune homme à l’esprit tourné vers le mal, employé aux pompes funèbres, tous deux domiciliés rue Froidevaux 1 juste au-dessus du cimetière, empêtrés dans un encrassement permanent. Ce qui n’empêche pas Madame C. et Adolphe de faire l’amour. Plus on avance dans le récit, plus on se tient les côtes, plus on se tape sur les cuisses, plus on se bidonne ! Se faire chier sur terre est tout un programme !

Le lecteur se tient les côtes car le délire dans la déchéance parait fantastique comme l’est le vice collé à la médiocrité. L’opiniâtreté dans la méchanceté. Et si Jean-Pierre Martinet en rajoute , c’est pour bien nous faire comprendre qu’en général on se contente d’exister ; que le macabre est à portée de main et que nous ne le savons pas ou voulons l’ignorer. Pauvres choses, a-t-on envie de dire à ceux qui pavoisent sans soulever le pavé. Quel bonheur n’est-ce-pas de barboter dans les eaux stagnantes ! Dans ce monde inconscient, nous nous rapprochons à petits pas de La chouette aveugle de Sadegh Hedayat (1903-1951). Un somnambulisme sans fin.

1Dans la rue avec Jean-Pierre Martinet d’Alfred Eibel, éditions des Paraiges, 114 p. 13 €.

Alfred Eibel.

L’Arbre Vengeur éditeur, 76 p. 9 €. Préface de Denis Lavant, postface d’Éric Dussert.

 
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Publié par le juillet 6, 2020 dans Uncategorized

 

Gilbert Lascault, Petite tétralogie du fallacieux

Laissez-vous surprendre, nous murmure Gilbert Lascault. À savoir que la vie est souterraine, que les théories sont des manèges qui ne s’arrêtent jamais de tourner. Il y a ceux qui brassent et qui oublient de passer l’existence au scanner, car ce qui parait invraisemblable n’est que la doublure du monde visible ; au fait, la fuite en avant a du bon ; l’impossible est possible. Prenez le cas d’un peintre. Ce qu’il peint n’est pas ce qu’il voit. Nous savons que ceux qui s’aveuglent sont victimes d’un mauvais coup de grisou. Autrement dit, la raison d’un événement officiel n’est jamais la vraie raison. Quelle est-elle alors ? Gilbert Lascault nous propose sa version et nous amène au centre de la terre, tel Jules Verne, parce que nous devrions être tenus à l’impossible. Faut-il en tirer une leçon ? Précisément pas, ce serait vouloir conclure et l’on sait par ailleurs que conclure n’est qu’un pis-aller. Henry Green nous met en garde dans son roman Conclusion. Armand Guibert a intitulé l’un de ses recueils Enfants de mon silence, ce que vise à n’en pas douter Gilbert Lascault. Dans son avant-propos, Éric Dussert nous pousse « à pénétrer par les fenêtres de la critique esthétique ». Remettre en cause les définitions établies pour se placer du côté de la révolte permanente et se réjouir, c’est la moindre des choses, de l’imprévisible. Accueillir l’inattendu à bras ouverts. Gottfried Benn a bien raison de mettre sur le même plan le prix littéraire qu’on vient de lui décerner et ce même jour d’avoir pu recoudre un bouton à la robe d’une jeune femme.

 

Alfred Eibel.

L’Arbre Vengeur éditeur, 362 p. 17 €.

 
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Publié par le juillet 6, 2020 dans Uncategorized

 

« Pile ou face », de Catherine Colomb

Catherine Colomb (1892-1965). Jean Paulhan la considérait comme une romancière de génie. Le lecteur habitué à des intrigues bien ficelées risque de se retrouver face à un roman qui n’en porte que le nom. Dans cette famille vaudoise installée à la campagne, pas de conversations suivies, des réminiscences, des interférences subtiles, des aspirations individuelles. Avant tout, occuper le silence. Égrener des pensées de peu de conséquences, lancer des regards furtifs, hâtifs, suivis d’élans brefs. Et brusquement, voilà le père de famille pris d’envie de bousculer tout dans la maison, tout changer, tout bazarder devant sa femme, pris d’un ébranlement moral qui paralyse quelques instants les quatre membres de la famille. Il règne dans la maison une anxiété inépuisable, peut-être aussi le sentiment d’un respect mal placé, de la nécessité de chercher au fond de soi la représentation de quelque chose que personne n’a encore osé dire, une forme de langage non encore exprimé.

M’aime-t-il ? Est-ce que je l’aime encore ? Et pourquoi les saisons passent-elles si vite, on y fait à peine attention. La famille, aux membres si figés, est saisie d’enfantillages, à la recherche d’un langage inspiré qui semble s’évanouir à l’instant où il est exprimé. Il faut ajouter que l’insignifiance des jours prend une dimension peu commune. Et le lecteur tourne les pages, commence à visualiser les péripéties qui se piétinent les unes les autres, parce qu’on s’ausculte mutuellement. Semblable à un vieux film en noir et blanc, une phrase surprend : « après trente ans, tous les humains ne sont que des rois en exil ».

Alfred Eibel

In Tout Catherine Colomb, 1672p, Éditions Zoé, 35€.

 
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Publié par le mai 19, 2020 dans Uncategorized

 

Michèle Dassas : « À la lumière de Renoir »

1893…Ce roman par son style, ses dialogues, semble avoir été écrit à l’époque même des événements relatés, donnant ainsi au lecteur le sentiment que l’auteur a vécu cette époque. Jeanne Maudot a seize ans, et se découvre une vocation : la peinture. À l’époque cela paraît difficilement concevable parce qu’un nombre important de professions sont interdites aux femmes. Mais Jeanne est une jeune fille libre d’esprit, décidée malgré les conseils de sagesse donnés par ses parents. Mais on n’est jamais seul dans la vie. L’insistance de Jeanne n’admet aucune faiblesse, ce qui lui vaut précisément quelques soutiens. Si l’impressionnisme est encore contesté, Auguste Renoir a néanmoins ses admirateurs, et Jeanne qui aime la vie, la nature  le ciel, admire la peinture du grand homme. Elle va finir non seulement par le rencontrer, mais par obtenir son soutien. Michèle Dassas déroule une vie faite de passion, de camaraderie d’abord avec Auguste Renoir puis une solide amitié, et cela jusqu’à son grand âge, qui va chambouler sa vie. On la retrouvera jusque dans les années cinquante. La vie de Jeanne ? « La bohème et mon cœur » comme disait Francis Carco.

Alfred Eibel

 

Éditions Ramsay 300 p., 19€.

 
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Publié par le mai 19, 2020 dans Uncategorized

 

Marlen Haushofer : « Une poignée de vies »

En 1951, Betty, après une longue absence, revient dans son petit village autrichien. Elle fascine son entourage, ne parvient pas à répondre aux émotions qu’elle suscite, prise de fatigue subite ce qui la fait tomber dans ce qu’on pourrait appeler une non-présence. Elle manipule de vieilles photos de son enfance dans lesquelles elle se retrouve. Mais était-ce vraiment ainsi ? N’embellit-elle pas son enfance ? Cette période de sa vie s’étend depuis sa naissance jusqu’à sa quatorzième année.  Avec le sentiment d’une liberté qui n’appartient à aucun maître. Ne se trompe-t-elle pas elle-même ? À l’époque, elle était révoltée contre le monde. La question posée : s’agit-il bien de cette liberté qu’elle défend d’un mouvement rapide et violent ? Par occasion, elle semble s’attacher à un homme plus jeune qu’elle. Cet attachement, elle ne saura le mener à bien. Elle remue sans cesse l’idée de liberté qui à la longue semble un vain mot, parce qu’elle est incapable de se donner à fond, parce qu’elle ne peut se dessaisir d’une forme de retenue par cet acte moral. Elle se retient ou se contient. La nature qui l’environne l’attire, la fascine, presque engloutissante, pourrait-on dire, dont elle finit par se garder si elle veut défendre sa liberté. Betty est indéfinissable. Marlen Haushofer (1920-1970) en fait une femme effacée, troublée par ses propres divisions, inapte à s’adapter à une société qui rappelle la simplicité de ses mœurs. Et cela dans une langue d’une force supérieure.

 

 

Alfred Eibel

Éditions Chambon, 185p., 19€.

 

 
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Publié par le mai 19, 2020 dans Uncategorized

 

Ernst Toller, Le livre des hirondelles. Allemagne 1893-1933. Souvenirs d’un lanceur d’alerte

Voici le destin tragique d’Ernst Toller (1893-1939), ancien membre du mouvement révolutionnaire de Bavière (1918). Il s’est vite rendu compte que la vieille Europe s’effritait, que la jeunesse allemande avait été honteusement victime d’hommes sans foi ni loi. La propagande pacifiste d’Ernst Toller lui vaut d’être condamné à mort après l’écrasement des soviets de Bavière, puis sa peine commuée en cinq ans de prison. De sa cellule, il observe les hirondelles bâtir un nid avec application et amour. Lui, si inquiet et fébrile, n’a-t-il pas lutté contre l’abêtissement des esprits, contre l’idolâtrie de l’État, sans ménager ses efforts ni sa santé ? En prison, il commence à écrire des pièces de théâtre expressionnistes racontant les turbulences de l’Allemagne. Par exemple Die Wandlung1 qui paraît en 1919, atteignant vingt mille représentations en 1922. Comme d’autres de ses pièces, Toller veut démontrer, nous conter ; mêler le fantastique à des scènes brutales. L’arrivée d’Hitler au pouvoir le pousse à se rendre en Espagne pour aider les enfants réfugiés. Rien de ce qu’il espérait de la République de Weimar n’a donné naissance à une société foncièrement démocratique, apaisée, non nationaliste. Désespéré, Ernst Toller se rend à New-York. On le retrouve pendu dans une chambre d’hôtel en mai 1939.

1 La transformation

Alfred Eibel.

Éditions Séguier, 336 p. 21 €.

 
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Publié par le avril 18, 2020 dans Uncategorized

 

Ludovic Roubaudi, Nostra Requiem

Campagne perdue chez les paysans. Le père élève des chevaux. Il aime raconter des histoires. L’une d’elles à son fils Anton pleine de fantaisie et de morale : savoir lire, écrire et compter. Avec cela on est armé pour la vie. Anton part sur les routes affronter la vraie vie. Il croise des gens simples en harmonie avec la nature. Il se heurte ici et là à une réalité moins enchanteresse. Lorsqu’il n’a plus de nouvelles de son frère Brubeck, il lui faut le retrouver. C’est alors que la réalité se gâte, montre sa face la moins aimable. Forces divines ou forces démoniaques, on ne sait. Sûr, Anton fait des mauvaises rencontres, puis au détour dont on ne sait quoi il est absorbé par l’armée en campagne. Il n’en demeure pas moins qu’il rencontre l’amour dans un lieu, c’est le moins qu’on puisse dire, qui manque d’élévation. Il s’embourbe comme les chevaux victimes d’une violente agitation de l’air. On retrouve dans ce roman ce qui est spécifique aux contes d’antan, au vagabondage des romans d’aventure du XVIIIe siècle et enfin à l’univers d’un Théodore Francis Powys (1875-1953), où l’innocence d’un personnage passe sans transition d’une vie banale au surnaturel.

Alfred Eibel.

Serge Safran éditeur, 129 p.12,90 €.

 
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Publié par le avril 18, 2020 dans Uncategorized

 

Le navire Arthur et autres essais, de Gérard Macé

Trois médecins confrontés aux résidus du monde suivant leur spécialité. Parent-Duchâtel face à une épidémie déclarée au XIXe siècle sur le navire Arthur. Adrien Proust, le père de Marcel Proust, luttant contre la peste et le choléra. Nous voici arrivés à Louis-Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline vu par Gérard Macé. Triste sire, crado, fringué comme un as de pique, tenue revendiquée si l’on ose dire, s’étant ainsi créé un personnage. Céline n’aime pas le style lisse qui fait partie des écrivains de bonne tenue. Céline met au point une langue très personnelle, bondissante. Il y met le même soin qu’il met à se nipper. Dans le genre folie de la propreté, il faut mentionner Howard Hugues (1905-1976), producteur et réalisateur américain. Craignant d’être contaminé par n’importe quel geste à main nue, il portait des gants en toute occasion. Le phénomène ne figure pas dans le livre mais il est symptomatique d’un hygiénisme qui n’est pas sans danger, constate Gérard Macé au cours de ce livre, à propos de ceux qui se détournent d’un monde scatologique dont les hommes sont les premiers responsables.

Alfred Eibel.

Éditions Arléa, 88 p.,15 €.

 
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Publié par le avril 18, 2020 dans Uncategorized