Ce livre a bénéficié en 2010 d’une ample couverture médiatique et d’un succès mérité. À l’occasion de divers entretiens, Sihem Souid, a pu ainsi dénoncer les nombreux dysfonctionnements du service de police où elle travailla de 2006 à 2009 et nous faire partager ses colères, ses regrets et ses frustrations. La lecture de son « Omerta » apporte un éclairage « humain » supplémentaire et l’évocation d’une multitude de cas concrets d’abus de pouvoir, de sexisme, de racisme et d’homophobie. On dispose désormais d’une image détaillée, vivante, passablement effarante, du mode opératoire de la Police de l’Air et des Frontières d’Orly et de la façon dont on y traite non seulement les étrangers tout juste débarqués sur notre sol, mais aussi le personnel français de la PAF issu des « banlieues » : brimades, humiliations, harcèlement, aboutissant à un climat de tension oppressant.
Sihem Souid n’est pas une contestataire née. « Entrée dans la police par idéalisme », cette jeune ADS (Adjointe de Sécurité), titulaire d’un bac et d’un BTS, sortie major de l’École de police, croit en la devise républicaine. Elle estime utiles et nécessaires les missions de la PAF : contrôle des frontières, lutte contre les fraudeurs, les filières clandestines, etc. Sa bonne foi, ses compétences, la qualité de son engagement ne font aucun doute. Bien intégrée au départ, bien vue de la hiérarchie qui commence par la couvrir d’éloges, elle va rapidement déchanter face au climat détestable qui règne au « Secrétariat frontières » du service immigration. Le racisme, généralisé, qu’il soit virulent, « de circonstance » ou inconscient, envahit le langage courant et imprègne les moindres références aux Maghrébins, qualifiés banalement de « melons » ou de « bougnoules » comme au bon vieux temps de la colonisation. S’y ajoute, sous l’influence d’une femme brigadier-chef tyrannique, une homophobie rageuse et obsessionnelle, focalisée sur un couple de lesbiennes : Nadia et Eve, qui finira par craquer et fuir l’infernale « machine à broyer » de la PAF.
Affectée en mars 2008 au GASAI (Groupe d’analyse et de suivi des affaires d’immigration), Sihem Souid y traite avec ses collègues les dossiers des Individus non Admis sur le Territoire (INAD), les demandes d’asile politique aussi bien que la lutte contre l’immigration clandestine. Elle le fait sans état d’âme, convaincue de la nécessité de lutter contre les fraudeurs et usurpateurs, mais découvre rapidement que, pour la PAF, tout étranger est par nature suspect. La politique du « chiffre » érigée en culte entraîne des bavures défiant l’imagination, derrière lesquelles on devine aisément des dizaines de cas d’expulsions arbitraires « à la gueule du client ». La jeune femme n’échappe pas à ces soupçons à forte coloration raciste. Perçue comme « solidaire des Arabes », soupçonnée de vol lorsqu’un objet disparaît du bureau, elle est chaque jour en butte à la haine de sa supérieure, laquelle finit par la faire muter… « dans son propre intérêt ».
Ces manœuvres, clairement destinées à « épurer » le service, se déroulent sur un arrière-fond de corruption rampante, connue de tous : petits cadeaux des compagnies aériennes, arrangements, billets gratuits, passe-droits, etc. à l’avantage du patron, Bianchi, qui arrivé en fin de carrière, se croit intouchable. Une lettre anonyme détaillant les innombrables combines de ce dernier précipitera cependant sa chute en avril 2009 à la suite d’un papier du Canard et des témoignages accablants de ses subordonnés. Mais lorsque son ancienne adjointe prend la relève, Sihem peut seulement constater que « les magouilles continuent, le racisme aussi », que la parole ne « remonte » pas, qu’aucune plainte n’est prise en compte. Conclusion : le système ne peut être combattu que de l’extérieur. C’est ce qui amènera l’auteur et six autres collègues victimes de brimades sexistes, harcèlement et discriminations racistes à alerter la Halde. (Ces récits détaillés sont parmi les pages les plus fortes du livre.) Mais la « machine à broyer » aura le dernier mot : pour avoir contesté l’action du procureur de Créteil dans le cadre des reconduites à la frontière, Sihem sera interrogée, gardée à vue, perquisitionnée, relevée de ses fonctions et finalement mutée, en novembre 2009, au Service de prévention de la police administrative et de documentation.
Olivier Eyquem
Sihem Souid, en collaboration avec Jean-Marie Montali : « Omerta dans la police », le cherche-midi, 2010, 18 €